09 janvier 2014

Le prix de l'immobilier est trop élevé!

Mais qui est Matthew Yglesias? J'ai longtemps pensé que c'était un blogueur américain comme tant d'autres, assez provocateur avec des posts trop légers et un bouquin intitulé "The Rent is too Damn High" qui me paraissait un peu trop aguicheur. J'ai commencé à me rendre compte de mon erreur sur les qualités d'Yglesias récemment, pour être précis le 30 décembre, où en pleine affaire Anelka, il twette "I don’t understand this controversy", puis "Now that I’ve read the Dieudonné M'bala M'bala wikipedia entry, I think I get it" et enfin en français "La référence au salut hitlérien est évidemment volontaire" suivi d'un lien vers cet article tout à fait à propos sur la quenelle. Cet effort de compréhension sur un épiphénomène de notre société française m'a donné envie d'en savoir plus sur Yglesias. J'ai donc acheté son bouquin et je vous propose un petit résumé parce que c'est une bonne lecture, bien écrit et facile à lire pour ceux qui cherchent des bouquins d'éco en anglais non technique.

L'ouvrage traite des prix du logement, qui sont effectivement très importants dans de nombreuses grandes villes américaines. Ces prix élevés sont en partie due à l'attractivité et à la croissance de certaine villes américaines. Si ces prix ne posent guère de problèmes aux riches, elles handicapent la vie d'une grande partie des habitants. Comme le souligne Yglesias, le contrôle des loyers n'est pas toujours une solution (ce contrôle peut être défavorable pour les plus pauvres, voir  ici... oui, argument quelques peu réactionnaire comme dirait Hirschman). Pour l'auteur ce contrôle est une incitation pour les propriétaires à ne pas investir dans les logements, ce qui s'avère être très problématique sur le long terme puisque sans investissement la qualité des lieux de vie se dégrade.

L'auteur énonce ensuite les trois choses qui comptent pour expliquer les fondamentaux du foncier sont: 1) la localisation 2) la localisation 3) la localisation. Si cette formule est quelque peu usée à force d'être employée, Yglesias l'utilise mieux que la plupart des journalistes dans la mesure où il explique que les effets de localisation peuvent avoir plusieurs origines. Certaines localisations vont être valorisées parce qu'elles offrent des aménités (théâtre, espace verts, plage) ou un meilleur accès au marché (métro), une ville peut aussi être attractive parce qu'elle offre un bon appariement entre la main d'oeuvre et les besoins des firmes. La part de rêve lié à certaine ville, les transforme en aimants. L'auteur donne le très bon/standard exemple de L.A. et l'on pense à tous ces films américains où une hypothétique actrice accepte un job de serveuse en attendant de décrocher un rôle dans un film qui lancera sa carrière. On peut aussi penser à tous ces provinciaux français, incarnés par les héros Balzaciens, qui sont parti à Paris durant la seconde moitié du 19ème.

Dans le chapitre, "the price of sprawl", Yglesias aborde l'un des concepts, peut-être trivial mais fondamental qui est nommé en économie urbaine 'l'équilibre spatial' et qui énonce (je simplifie) que tout se paye et s'égalise. Si vous êtes au centre, vous allez pouvoir profiter des externalités de la ville, mais le coût du logement sera important, vous serez contraint de vivre dans un espace relativement plus petit. A l'inverse si vous êtes dans la banlieue résidentielle, le prix du logement sera moins cher, vous aurez votre espace vert et une chambre pour chaque enfant mais vous subirez des coûts de navette pour aller bosser et/ou profiter des biens culturels urbains. Yglesias rapporte des études qui montrent que les coûts de navette ont des impacts sur la santé (stress, obésité, mal de dos etc).

Si vous avez compris l'équilibre spatial, vous comprendrez que les transports vont avoir un rôle essentiel pour expliquer le prix du foncier. En effet, les transports de par leur impact sur plusieurs variables (ne serait-ce que les coûts de navette) vont jouer sur les choix de localisation (déstabiliser l'équilibre) et affecter la demande (et parfois aussi l'offre) du marché immobilier. Yglesias rappelle ainsi que les villes qui se sont massivement développées au moment de l’avènement de l'automobile ont un prix du foncier très homogène alors que les villes anciennes ayant un centre historique riche et plus difficile d'accès ont une rente foncière décroissante avec la distance au centre. Ci-dessous deux graphiques issus de Glaeser (2008) qui confirment ces assertions pour Boston et Chicago (en abscisse la distance au centre, en ordonnée la rente foncière).


L'auteur s’inquiète ensuite que la hausse des prix entraîne une fuite des agents économiques des villes les plus productives: "people are moving to cheap houses rather than high incomes". Cette proposition est essentielle, s'il existe dans une ville une alchimie qui permet plus de croissance, le fait que les gens ne puissent pas s'y localiser pour la simple raison que les propriétaires fonciers monopolise la rente de localisation, est problématique non seulement pour les individus mais aussi pour la société dans son ensemble. Pour l'auteur il ne fait aucun doute qu'il faut davantage construire dans ces zones productives. Quelques questions cependant: les prix immobiliers n'ont-ils pas un impact sur la sélection et la motivation des agents, in fine n'affectent-ils pas positivement la productivité des métropoles? Qui sont donc ces travailleurs qui fuient New-York pour des Etats plus ensoleillés (Texas) où le prix du foncier est plus faible en raison d'une offre soutenue? En fait, d'après une récente étude de Ganong et Shoag (2012) les hautement qualifiés continuent de s'agglomérer dans les zones productives et ce sont les faiblement qualifiés qui déménagent vers des zones moins chères. Donc l'assertion "people are moving to cheap houses" doit être précisée, voici un extrait de Ganong et Shoag (2012):

Low-skilled workers are especially sensitive to changes in housing prices. We show that in recent years (1) the real returns to migration to productive places have fallen dramatically for low-skilled workers but have remained high for high-skilled workers, (2) high-skilled workers continue to move to areas with high nominal income, and (3) low-skilled workers are now moving to areas with low nominal income but high real income net of housing costs.

Enfin en ce qui concerne la question de la sélection, je vous renvoie à l'excellente étude de Combes, Duranton, Gobillon, Puga et Roux (2012) qui montre que ce n'est pas la concurrence plus forte au sein des grandes villes qui explique les différences de productivité mais plutôt les économies d'agglomération (le fameux triptyque "matching, learning, sharing").

Vous l'aurez compris, je regrette qu'il n'y ait pas davantage de références académiques, ceci dit, à l'heure où nos gouvernants s'intéressent enfin à la métropolisation (Grand Paris, métrople de Lyon, Marseille) ces thèmes me semblent porteurs et la problématique d'Yglesias, (comment rendre nos villes plus efficaces et plus équitable), devrait être au cœur des questions de gouvernance.

F. Candau

Références (lectures fortement conseillées pour ceux qui veulent aller au delà)
  • Combes P-P., G. Duranton, L. Gobillon, D. Puga and S. Roux, 2012. The productivity advantages of large cities: Distinguishing agglomeration from rm selection. Econometrica 80 (6): 2543{2594
  • Ganong P, Shoag, D. 2012. Why Has Regional Convergence in the U.S. Stopped? Harvard miméo.
  • Glaeser, 2005. Reinventing Boston: 1630–2003, Journal of Economic Geography, Oxford Univ Press
  • Glaeser, 2008. Cities, Agglomeration and Spatial Equilibrium. The Lindahl Lectures.
  • Moretti E, 2013. The new greography of jobs.
  • Piketty T, 2013. Le capital au XXI siècle, Seuil.

1 commentaire:

  1. bonjour!

    intéressant ton article et bien instructif, merci pour cette précision sur Yglésias.

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