01 novembre 2011

Immigration et salaires (suite)

Ce post fait suite à celui-ci. Alors que la première partie traitait de l'évaluation empirique, nous abordons ici les analyses théoriques.

L'impact des migrations dans un univers concurrentiel

Since Marshall's time, economists have had a good understanding of the factors that generate elastic or inelastic labor demand curves, and how the elasticity of labor demand is affected by substitution and scale effects. Unfortunately, much of the empirical literature on the wage impact of immigration (particularly in the 1990s) disregarded practically all of these insights, and instead took a data-mining approach: running regressions or estimating difference-in-differences models to examine if the wage evolution in labor markets most affected by immigration differed from that observed in other markets. Few of these studies were guided or informed by the implications of factor demand theory. Borjas (2009)

L'immigration a un impact sur les salaires et les profits qui dépend de l'élasticité de ces revenus.   
Dans les modèles concurrentiels où le travail est un facteur imparfaitement substituable au capital (mais un substitut parfait à lui même) l'immigration entraîne une baisse de la rémunération du travail et une hausse de la rémunération du capital. De ce point de vue, les migrations creusent les inégalités de revenu. Mais ce résultat n'est soutenable qu'à court terme où l'offre de capital est fixe. A long terme cette hausse des profits devrait motiver la création de nouvelles firmes. La hausse de la demande de travail issue de ces entreprises perdurera jusqu'à ce que les salaires initialement abaissés par la concurrence des migrants retrouvent leur niveau précédant le choc. Sur le long terme, les migrations n'ont ainsi aucun impact sur les salaires.



Cependant sur un tel marché concurrentiel le court terme peut durer... aussi est-il fondamental d'analyser l'ampleur de l'impact des migrations dans un tel cadre où le capital est fixe. Si l'on considère que la fonction de production est de type Cobb-Douglas alors on obtient une élasticité des salaires (noté w) par rapport aux migrants (noté L) qui dépend uniquement de la part du capital dans le revenu (s_{K}), soit:

Il est donc à noter que plus l'économie sera capitaliste plus une politique d'immigration ouverte aura un impact défavorable sur les travailleurs nationaux. Dans la mesure où le capital représente entre 30 à 40% de la valeur ajoutée dans les pays développés, on obtient le résultat suivant: une augmentation de 10% de la main d'oeuvre déboucherait sur une baisse de salaire de l'ordre de 3 à 4%.
 
Cette analyse n'est cependant pas une analyse en équilibre général, elle repose uniquement sur une analyse du marché du travail. Elle est donc partielle car si l'on suppose que les migrants sont aussi des consommateurs, on peut penser qu'un afflux de migrants impactera sur la demande de produits et ainsi sur les prix. Mais l'impact des migrations sur les autres marchés est-il important?

L'impact inflationniste des migrations sur les prix a été analysé récemment par plusieurs études. Cortes (2008) a, en particulier, montré que cet effet des migrations sur les prix est relativement modeste: dans les villes américaines une hausse de 10% de l'immigration entraînerait une baisse des prix dans les secteurs des services de l'ordre de 2%. Evidemment le type d'immigration, la taille du pays et la nature des biens influencent ce résultat. Saiz (2007) trouve que lorsque le stock de migrants atteint 1% de population d'une ville alors le prix des logements augmente de 2% dans les villes américaines. Gonzalez et Ortega (2009) obtiennent un résultat similaire pour le marché espagnol.

L'impact sur des migrations en équilibre général semble être négligeable, voici donc "juste pour la forme" l'analyse théorique. Sur le court terme, une hausse des prix due aux migrations, en améliorant les profits locaux favorise une hausse des salaires où du moins contrebalance l'effet dépressif des migrations sur le marché de l'emploi. Mais que font les consommateurs face à la hausse du prix du bien local? Si les consommateurs substituent du bien étranger au bien local alors l'analyse précédente ne tient plus. Borjas (2009) montre ainsi que lorsque l'élasticité de substitution des consommateurs est plus grande que l'élasticité de substitution entre travail et capital alors les migrations impactent négativement sur les salaires nominaux. Il démontre de plus que si l'hypothèse de neutralité est levée i.e. si le migrant a une préférence pour les produits de son pays alors l'impact négatif des migrations sur les salaires est exacerbé. D'un point de vue théorique, une augmentation de l'immigration familiale en augmentant le nombre de consommateurs de façon plus que proportionnelle par rapport à la force de travail limiterait l'effet négatif sur les salaires. A l'inverse les transferts de fonds des migrants seraient dépressifs.
 
Que se passerait-il si le travail était hétérogène dans une économie à plusieurs biens? Pour étudier l'imparfaite substituabilité entre les différentes qualifications au sein de l'économie du pays receveur (travailleurs qualifiés et non qualifiés par exemple), il est commun d'utiliser une fonction CES (Bowles, 1970; Card and Lemieux, 2001; Borjas, 2003), soit:
Il est à noter que l'hypothèse de parfaite substituabilité entre migrants et natifs pour chaque type de qualification 1 et 2 est maintenue pour l'instant. Dans un tel cas et sous quelques hypothèses supplémentaires sur la fonction de production et de demande, l'impact des migrations sur le différentiel de salaire est le suivant:
L'impact des migrations sur la distribution des salaires ne dépend donc que de l'élasticité de substitution entre les deux types de travail (sigma) et du différentiel de migration dans les deux secteurs représenté ici par m₁-m₂. Ce résultat montre que l'impact des différentes variables du modèle sur les salaires (l'ajustement du capital par exemple) est symétrique. Les gains des uns (les qualifiés, le capital) sont strictement compensés par les pertes des autres (les non qualifiés). Ceci dit, le résultat précédent est toujours vérifié, mais cette fois-ci pour le salaire moyen, ce dernier devrait baisser aux alentours de 3% suite à une augmentation de 10% des migrations.
 
Considérons désormais une imparfaite substituabilité entre les migrants et les natifs telle qu'elle a été envisagée par Ottaviano et Peri (2007), à l'aide de la fonction CES suivante:
où Ni et Fi représentent respectivement le nombre de natifs et de migrants possédant une qualification i. On obtient alors l'équation suivante:
 où dMi/Mi représente l'augmentation relative des flux migratoires et sigma l'élasticité de substitution entre natifs et migrants. La substitution entre migrants et travailleurs influence donc les inégalités, mais les migrations ont toujours un impact négatif sur le différentiel.
 
Ces résultats permettent à Borjas (2009) d'affirmer que l'impact des migrations sur le salaire agrégé ne dépend pas de la valeur de l'élasticité de substitution entre les qualifications ou encore de la complémentarité entre les facteurs dans un modèle concurrentiel.

L'impact des migrations en concurrence imparfaite

Le fait que les résultats empiriques détectent un impact négligeable des migrations sur les salaires réels remet en question les outils utilisés par les économistes. Ainsi Borjas (2009) conclue son tour d'horizon des modèles concurrentiels par cette phrase:

If one is to believe the empirical claim that immigration wage effects are negligible even in the short run, the theoretical implications of factor demand theory need to be dismissed and the entire apparatus thrown by the wayside. We are then left without a framework for understanding or predicting how immigration influences labor market conditions in sending and receiving countries

Cette citation exprimant l'idée que seuls des modèles concurrentiels ont été développés dans ce domaine, est cependant erronée. Si le modèle concurrentiel est invalidé, il nous reste à tester plus sérieusement les modèles de concurrence imparfaite qui sont moins catégoriques concernant l'effet des migrations. En effet la nature du marché (oligopolistique, monopolistique ou en concurrence parfaite) dans lequel les migrants entrent, doit sans doute influencer les rémunérations des salariés et d'une façon plus générale les capacités d'une économie à amortir les chocs migratoires.
 
Conclusion

Après avoir présenté les modèles concurrentiels et les résultats obtenus jusqu'alors, Georges Borjas conclut sa présentation réalisée à la Banque Mondiale par la question suivante:

So, what does all this imply about immigration policy?

Puis répond (en rouge et en taille 32):

Nothing at all !!!

Pour Borjas face aux flux migratoires importants observés, l'impact faible sur les salaires est une énigme. Il considère que les données sont peut être "détournées" par le modèle concurrentiel. A l'inverse on peut penser que les études empiriques sont dans le vrai, mais là encore le modèle concurrentiel peine à expliquer un impact quasi-nul. Dans les deux cas, les modèles en concurrence imparfaite, développé par exemple en économie géographique, présentent un intérêt réel, puisqu'un impact négatif, positif ou nul peut être obtenu en fonction de la taille et du degré d'intégration des marchés.

D'un point de vue empirique, certains résultats des modèles concurrentiels attendent encore d'être testés. Avec Hanson (2008) on peut par exemple regretter que les gains obtenus par les détenteurs de capitaux du fait des migrations soient si peu analysés.

References

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1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Bravo pour ce blog !
    Felicitations,
    A l'occasion, merci de passez voir mon blog! !

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