27 octobre 2009

Firmes hétérogènes, productivité et commerce (1/2)

Le monde est un village global... cette expression (comme bien d'autres sur la mondialisation) donne à penser que les firmes exportatrices font légions. Pourtant il n'en est rien, 0.1% des firmes françaises réalisent 40% des exportations de la France. En fait, et c'est une évidence, les firmes sont hétérogènes, leurs productivités différent et ces différences se ressentent dans les performances à l'export. Cette réalité a mis un certain temps avant d'être modélisée de façon satisfaisante, il a fallu en effet attendre 2003 et l'article de Marc Melitz.
Puisque cet article est l'un des plus cité en économie internationale (1884 fois selon Google Scholar, à comparer avec les 1906 citations du Krugman (1980)...) il n'est peut être pas inutile d'en dire un mot avant de passer (dans le prochain post) aux très nombreuses études empiriques qui testent les liens entre hétérogénéïté, productivité et commerce.

Anciennes et nouvelles théories du commerce international

Tout d'abord pourquoi l'introduction de l'hétérogénéité des firmes dans l'étude du commerce international est-elle considérée comme une révolution par certains (Berhens et Robert-Nicoud (2009)) et mérite pour d'autre l'appellation de 'new new trade theory' (Baldwin (2005))?
Tout simplement parce que cette introduction met en avant un nouveau gain à l'échange: l'amélioration de la productivité via une réallocation des ressources des firmes les moins productives vers les firmes les plus productives.
Le tableau ci-dessous extrait de Bernard et al. (2007) résume les différences entre les théories anciennes et actuelles.


Comme vous le savez d'après Ricardo et HOS, l'intérêt du commerce se trouve dans une spécialisation des pays sur leurs avantages technologiques (les différences de productivités sont exogènes) ou factoriels. Il résulte alors de la libéralisation un commerce inter-branche, les gains s'opèrant via une réallocation des ressources entre secteurs. Avec Krugman (1980) le commerce bénéficie de rendements croissants et les consommateurs peuvent consommer un nombre plus important de variétés. Le commerce décrit est alors un commerce intra-branche ce qui colle bien aux échanges observés (Helpman (1999)). Mais dans ce modèle les firmes sont toutes identiques et la productivité est exogène. En d'autres termes ces modèles peuvent expliquer pourquoi un pays exporte telle variété ou telle autre, mais sont incapable de mener une analyse micro permettant de dire pourquoi telle firme se dirige sur le marché mondial alors que d'autres restent cantonnées au marché national.

Mélitz (2003)

Mélitz (2003) part du modèle de Krugman (1980), mais au lieu de considérer une firme représentative dans le secteur en concurrence monopolistique, il considère un continum de firmes dont les productivités peuvent différer. Pour chaque firmes l'entrée sur un marché se fait à fonds perdus (sunk costs). Les firmes les moins productives réalisent des pertes et sortent du marché. Parmi les firmes qui survivent à cette première sélection, seules les plus productives ont les moyens de payer les coûts d'exportation. Ces différences de productivité révélent un résultat intéressant: la libéralisation commerciale exclue les firmes les moins compétitive au profit des plus productives qui gagnent leurs parts de marché. Le commerce génére ainsi des gains de productivité agrégés par sélection et réallocation.

La théorie juste avant et juste après Mélitz (2003)

Comme le note Helpman (2006), Sébastien Jean avait un coup d'avance sur Melitz, puisqu'il sortait en 2000 (publié en 2002 dans Open Eco Review) un article sur l'hétérogénéïté des firmes et le commerce international. Certes il y avait des éléments en moins, le mécanisme d'exit des firmes notamment, mais il y avait aussi pas mal de chose en plus. En effet contrairement à Mélitz où un seul secteur est analysé, Sébastien Jean considère une économie avec deux secteurs, le secteur en concurrence monopolistique et un secteur en concurrence parfaite produisant un bien homogéne. Ce type de modèle qualifié dans le tableau ci-dessus par Bernard et al. (2007) de modèle intégré permet à l'auteur d'étudier non seulement le commerce intra-branche mais aussi le commerce inter-branche. L'auteur a notamment l'idée de lier les productivités aux pays, des avantages comparatifs sont ainsi introduits dans l'analyse. Le graphique ci-dessous illustre les résultats.
Lorsque les différences entre pays sont importantes dans la production du bien différencié, seules les firmes les plus productives du pays disposant d'un avantage dans la production de ce bien peuvent exporter. Le pays ne disposant pas d'avantage est donc contraint de se spécialiser dans la production du bien homogène. Dans un tel cas le commerce est exclusivement inter-branche (zone d ou b). Bien évidemment si les coûts commerciaux sont trop importants même les firmes les plus productives ne peuvent pas exporter, il n'y a alors aucun échange (zone a). Enfin une similarité entre pays débouche sur du commerce intra et inter-branche.

Bernard, Redding et Schott (2007), poursuivent cette voie du modèle intégré et mettent en avant de nouvelles relations entre commerce et productivité. Les auteurs montrent notamment que les gains de productivité liés aux réallocations entre firmes sont plus importants dans les secteurs disposant d'un avantage comparatif. Ces gains ont donc tendance à magnifier l'avantage comparatif du pays. De plus ces gains de productivité peuvent générer une baisse des prix favorables à tous les facteurs et relativisent ainsi l'effet négatif de l'ouverture commerciale sur les salaires réels des facteurs rares. Enfin ce modèle permet d'analyser le lien entre commerce et turn over. En effet les secteurs désavantagés subissent des destructions nettes d'emploi: la sortie des firmes les moins compétitives n'étant pas compensée par l'expansion des firmes les plus productives. L'inverse étant vrai pour les secteurs disposant d'un avantage comparatif. De plus à l'équilibre la destruction créatrice est plus importante pour les firmes opérant dans les secteurs à avantage comparatif. Ce facteur est-il un élément supplémentaire permettant d'expliquer pourquoi le sentiment d'insécurité face à l'emploi n'est pas seulement l'apanage des firmes produisant dans un secteur en déclin? Les auteurs le supposent, la vérification reste à mener.

Teasing


Dans un prochain post nous verrons les bases empiriques sur lesquelles sont fondées ces modèles et aussi la façon dont l'introduction de firmes hétérogènes modifie l'interprétation des équations de gravité.

Remarque


Pour plus de détail sur les extensions du modèle de Melitz, voir Melitz (2009).

Bibliographie


Bernard, A., B. Jensen, S. Redding and P. K. Schott, 2007, "Firms in International Trade," Journal of Economic Perspectives 21(3), 105--130.
Behrens, K., Robert-Nicoud F. (2009). Krugman's Papers in Regional Science: the 100-dollar bill on the sidewalk is gone and the 2008 Nobel Prize well deserved. Papers in Regional Science 88(2), pp 467-489.
Baldwin, R., 2005. "Heterogeneous Firms and Trade: Testable and Untestable Properties of the Melitz Model," 2005. NBER Working Papers 11471.
Bernard, A., S. Redding, and P. Schott. 2007. "Comparative Advantage and Heterogeneous Firms." Review of Economic Studies, 74(1): 31--66.
Helpman, E., 1999. "The Structure of Foreign Trade." Journal of Economic Perspectives, 13(2): 121--44.
Helpman, E., 2006. Trade, FDI, and the organization of firms, Journal of Economic Literature XLIV: 589-630, 2006.
Melitz M.J., 2003, "The Impact of Trade on Intra-Industry Reallocations and Aggregate Industry Productivity," Econometrica 71(6), 1695--1725.
Melitz M., 2009, International Trade and Heterogeneous Firms", New Palgrave Dictionary of Economics, 2nd Edition.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire