04 janvier 2017

Not Made in France: Déficit commercial et compétitivité

Le déficit commercial est un sujet qui revient sans cesse et qui inquiète nos politiques. Aux USA, le débat a été relancé par la nomination de Peter Navarro à la tête du National Trade Council et de ses déclarations alarmistes concernant le déficit commercial américain.

En France, ces commentaires ont été moins nombreux depuis le pic de -74,2 Md€ atteint en 2011 (il a depuis diminué puis légèrement augmenté cette année pour atteindre 50 Md€), mais des déclarations similaires ont très souvent été faîtes (et le seront à nouveau dans le futur).

Pour F. Bayrou, le déficit commercial c'était le "problème central" en 2012: "lorsque un pays s’appauvrit tous les mois, les emplois s’en vont. Soixante-dix milliards, c’est l’équivalent de la totalité du salaire annuel, avec les charges, de plus de 2 millions de salariés. Comme on a 2,5 millions de chômeurs à temps plein… Il ne faut pas chercher plus loin les raisons".



Pour le FN, même combat: "Cette dégradation catastrophique de la balance commerciale française est une calamité pour l’économie. Elle est nourrie en effet par la consommation des ménages, seule variable économique encore dans le vert, qui profite donc à plein à l’emploi étranger au détriment de l’emploi français. Ce sont les importations qui sont stimulées, et non la production nationale."

et ainsi de suite, vous trouverez les mêmes points de vue à gauche, droite et extrême gauche. Ces politiques expriment d'ailleurs sans doute ce qu'une partie de la population pensent qui est que face à la concurrence internationale de pays à bas salaires nos industries ne peuvent pas être compétitives et que la mondialisation est à la base d'une désindustrialisation et d'une perte de compétitivité.  Mais le déficit commercial est-il la preuve de cette perte de compétitivité? Existe t-il un lien indiscutable entre déficit et désindustrialisation?  Oui et non. 

La balance commerciale est la différence entre exportation et importation, donc si les importations sont constantes, la seule raison d'un déficit est une baisse des exportations. Dans le cadre d'une politique de relance, le mécanisme peut être plus subtil dans le sens où la dépense publique peut à la fois entraîner davantage d'importation et susciter une appréciation du taux de change (assez peu vrai pour la France, mais vérifié pour les USA), dans un tel cas les importations deviennent moins chères alors que les exportateurs perdent en compétitivité. Le déficit commercial est alors clairement un signe de perte de compétitivité. 

Dans ce post je n'aborderai pas les déterminants des déficits commerciaux que l'on voit dans les premiers cours de macro (i.e. l'épargne et l'investissement que j'aborde dans ce post du "global saving glut", et les déficits publics sur lesquels il faudra que je fasse un post), je vais en rester à cet argument simple des politiques, les importations, c'est mal, donc les déficits aussi.

Le problème de cette analyse est d'opposer de façon systématique la production et les importations, comme s'il y avait une substitution très forte entre les biens produits en France et les biens importés. Toute hausse des importations correspond à une baisse des conso "made in France" et donc affecte négativement le PIB. Consommer "français" serait ainsi un acte patriotique qui améliorerait notre richesse.
Mmm quel titre pour cette photo...le globe pour du made in France?

 Alors, oui, il y a du vrai dans cette idée qui est à la base de tous les discours politiques. Il est possible que lorsque vous achetez des sous-vêtements produits ailleurs, vous n'achetiez pas de sous-vêtement français.

Ceci dit, sans jeu de mots, vu le prix de ces biens, il faut être bien sûr que si vous les achetez, vous ne renoncerez pas à un restau ou deux pour compenser, car dans ce cas, pas sûr que le bilan soit positif. L'exemple est évidemment cocasse, mais d'un point de vue général, il n'est pas évident qu'une politique protectionniste (e.g. une dévaluation, ou une hausse des droits de douane) améliorerait la situation économique de la nation.

Il y a quelques années, Charlotte Emlinger et Lionel Fontagné avaient évalué que les biens importés représentaient un gain pour le pouvoir d'achat des consommateurs allant de 100 à 300 euros par mois, ils concluaient cette étude par ce commentaire toujours d'actualité:

"La substitution de produits nationaux aux produits importés augmenterait la dépense sur les produits concernés, ce qui réduirait la consommation de services. Or il est tout à fait possible que le contenu en emplois des services, par euro de valeur ajoutée, soit plus important que celui des usines robotisées fabriquant les substituts aux biens importés".

Voir aussi cet article de Blaum et al (2016) qui montre que sans les importations de biens intermédiaires le prix des biens industriels français augmenteraient de 27%.


mais alors, il est où le problème?

Chercher à améliorer la balance commerciale est une obsession dangereuse. Une politique d'austérité qui appauvrirait les gens réussirait à merveille à réduire le déficit de la balance commerciale (où à créer un excédent comme en Allemagne), à l'évidence donc, la lutte contre ce déficit commercial ne peut être une fin en soi. Une réduction du coût du travail, qui affecte les performances à l'export, mais joue aussi sur la demande intérieure, peut être tout aussi contre-productive pour la nation. Ce débat passe de plus à côté d'un fait marquant, récemment relevé par ce rapport du CAE, le coût du travail ne représente que 23% de la valeur ajoutée des exportations, il reste donc de nombreux déterminants à analyser pour améliorer la compétitivité des entreprises qui peuvent être d'intéressantes obsessions économiques.

Inutile donc de copier sur son voisin et sa politique de modération salariale et de fragmentation internationale de son appareil productif, d'autres voies existent [Edit du 05/01/17 voir cette excellente comparaison des économies France/Allemagne]. Vous remarquerez au passage qu'un excédent de la balance n'est pas synonyme de gain net en termes d'emploi industriel...



Le management, la vie dans l'entreprise, la connaissance des marchés (e.g; maîtrise des langues et des cultures), l'investissement (en nouvelles technologies évidemment, mais aussi en maintenance, éducation, formation professionnelle)  sont autant d'éléments qui comptent pour améliorer la productivité globale des facteurs et pour gagner des parts de marché.

Ce résultat ne devrait pas nous étonner, les études sur les sources de croissance économique avancent déjà depuis des décennies qu'une partie non négligeable des gains de productivité ne provient pas du travail et du capital physique mais d'éléments plus ou moins extérieurs qui permettent d'élever les capacités de production.

Si l'on adopte une perspective de long terme il est même possible d'aborder le problème du coût du travail et de la compétitivité d'une façon différente comme le font Bas et al (2015) qui discutent du marché immobilier en ces termes:

"Il faut souligner que l’ensemble de l’économie française participe à la construction de la compétitivité prix. Améliorer le fonctionnement du marché du logement, par exemple, contribue à la compétitivité dans la mesure où la hausse des loyers et de l’immobilier pèse sur le budget des ménages et conduit à terme à des hausses de salaires".

Evidemment espérons que nous n'ayons pas besoin d'un argument de compétitivité pour améliorer le fonctionnement du marché immobilier.

F. Candau

Quelques références citées dans ce post (attention honteuse auto-promo):

Candau Fabien, Florent Deisting, Julie Schlick, 2015.  How Income and Crowding Effects Influence the World Market for French Wines with Florent Deisting and Julie Schlick, The World Economy, forthcoming, wp at ideas

Candau Fabien, Serge Rey, 2014. The Effect of the Euro on the Aeronautic Trade: a French Regional Analysis with Serge Rey, Economic Modelling, 2014 (41), wp at ideas.


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