04 avril 2016

Evasion fiscale et incidence


Les révélations des médias sur la place et le rôle du Panama sont une excellente nouvelle, cela va sans doute permettre à la justice de plusieurs pays d'utiliser les pièces manquantes d'un puzzle de fraude fiscale souvent difficiles à rassembler

Nous allons ici aborder l'évasion fiscale des firmes multinationales, celles des footballeurs et hommes politiques faisant déjà la une de la presse (voir icij et Le Monde qui bossent sur le sujet depuis des mois).

Biens intangibles, prix de transfert et érosion des bases fiscales

Le système international de taxation des profits à la source date des années 20 et il est notoirement déficient. La règle consistant à séparer les profits pour les taxer à la source (arm’s length principle), implique que des multinationales qui échangent en leur sein des biens doivent trouver un prix sur le marché correspondant à cette transaction. Il est cependant aisé de manipuler ces prix de transferts, il suffit à une filiale implantée dans un pays taxant faiblement les profits d'exporter vers une filiale dans un pays les taxant fortement; résultat: peu de profit à taxer dans ce pays et peu de taxation dans le pays où les profits sont transférés. La situation est encore pire lorsqu'il n'y a pas de prix de référence, par exemple que dire du prix de la technologie de Google USA vendue en 2003 (soit juste avant l'introduction en bourse) à Google Ireland Holdings résidant aux Bermudes?

Deux papiers très intéressants sur le sujet des prix de transferts. Le papier de Vicard (2014) qui estime à 10% la perte de revenu pour le fisc français d'après ce mécanisme (8 milliards) et le papier de Davies, Martin, Parenti, and Toubal (2015) qui, basé sur des données très précises, est bien plus optimiste comme en témoigne la fin de leur abstract:

"We find almost no evidence of tax avoidance if we disregard exports to tax havens. Back-of-the-envelope calculations suggest that tax avoidance through transfer pricing amounts to about 1% of the total corporate taxes collected by tax authorities in France. The lion’s share of this loss is driven by the exports of 450 firms to ten tax havens. As such, it may be possible to achieve significant revenue increases with minimal cost by targeting enforcement".

Incidence

Il est totalement scandaleux que les détenteurs de capitaux perçoivent une rente qui échappe à l'impôt alors que les individus contribuent à la fois via leurs revenus et via leurs consommations (idem pour les entrepreneurs et firmes domestiques qui subissent une perte de compétitivité par rapport aux multinationales). Mais le problème moral est en fait bien plus grand si l'on songe à l'incidence des taxes. Est-on sûr qu'en taxant les profits des multinationales seuls les détenteurs de capitaux sont taxés? Harberger (1962) répond oui dans un cadre très particulier: une économie fermée... A partir du moment où l'économie est ouverte, les salariés trinquent. Voir par exemple l'article d'Arulampalam, Devereux and Maffini (2012) qui montre que 1$ d'augmentation des taxes sur les sociétés se transforme en une baisse de 50 cents des salaires. Les firmes multinationales peuvent aussi absorber la taxe en haussant les prix des biens vendus ou en mettant la pression sur les fournisseurs...bref la question de l'incidence ne remet pas en question la nécessité de taxer le capital, au contraire elle pose la question de comment le taxer pour qu'il paye réellement sa contribution. Comme le note nombre d'auteurs il faut vraiment réfléchir à une nouvelle façon de taxer les firmes multinationales, voir entre autre Devereux et Sorensen (2005), notamment la dernière partie (et aussi, évidemment, Zucman, 2013) ainsi que des travaux plus récents de Devereux, pour conclure je citerais d'ailleurs Devereux et Vella (2014):

"Even if the actions proposed by the OECD are successfully implemented, the international tax regime will still not be fit for purpose. The regime will consist of a confused, complex mass of arcane, arbitrary and sometimes illogical rules [...]

Admittedly, a shift away from the current framework is difficult because strong path dependencies have developed over the past hundred years in which the current framework has been in place. Any shift requiring international cooperation will be particularly hard to implement. However, whilst not underestimating these difficulties, exploring these options is important". 

F. Candau

Références

Arulampalam W, Devereux M and Maffini G (2012) The Direct Incidence of Corporate Income Tax on Wages. European Economic Review. Volume 56, Issue 6, Pages 1038–1054

Davies, R, Martin J, M Parenti and F Toubal, 2015. Knocking on Tax Haven’s Door: Multinational Firms and Transfer Pricing. CEPR Discussion Papers 10844

Devereux M, Sorensen P, 2005. The Corporate Income Tax: International Trends and Options for Fundamental Reform, European Economy.

Harberger, Arnold C., 1962.The incidence of the corporation income tax. Journal of Political Economy 70,215–240.

Vicard, V. (2014), Transfer pricing of multinational companies and aggregate trade. WP 555 Banque de France.

Zucman, G. 2013. Richesse cachée des nations. Seuil.



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