Petite réflexion sur "Why Nations fail" d'Acemoglu et Robinson.
Cet ouvrage de plus de 500 pages, est un brillant plaidoyer mettant en avant l'importance des institutions pour expliquer la croissance des nations. Les détails historiques sont hallucinants, les auteurs passent en revue les origines de la richesse ou de la pauvreté de plusieurs nations sur plusieurs siècles. Au travers du temps et de l'espace la thèse centrale est que des institutions politiques inclusives, littéralement qui incluent le plus grand nombre de citoyens, alliées à une économie qui le serait tout autant seraient LA source de croissance.
J'hésite à critiquer cet ouvrage, c'est vraiment un bon bouquin, je vais d'ailleurs m'en servir pour mes cours, mais tout de même comme je le recommande je souhaite aussi mettre en garde. Il ne fait aucun doute que les institutions sont centrales, et je pense, comme les auteurs, qu'elles sont souvent le déterminant décisif, mais ce que je ne cautionne pas l'idée qu'elles sont l'unique déterminant. Le thème "Theories that don't work" n'est pas convainquant.
Les auteurs avancent ainsi tout au long du livre que des éléments tels que la culture et la géographie n'ont aucune valeur explicative. C'est faux et d'ailleurs il est troublant de relire le livre en cherchant des éléments justifiant l'importance de ces deux éléments, on en trouve à la pelle.
Les auteurs nous explique par exemple que les espagnols lorsqu'ils colonisent l'Amérique du Sud trouvent des lieux où ils peuvent exploiter la population, à l'inverse les anglais n'en trouvent pas et sont obligés de faire venir des européens. Comme les européens sont plus difficilement exploitables, de nouvelles institutions, plus inclusives et qui incitent à l'effort sont créées, d'où le gap de développement observé aujourd'hui. J'en conclu donc que les revendications culturelles (avoir des droits!) des travailleurs et entrepreneurs (c'est anachronique mais ça permet de résumer) importés ont eu un rôle tout aussi important que les institutions qu'ils ont fait naître.
Idem pour la géographie, les auteurs nous offrent tout un tas d'exemples apparemment indiscutables. Le plus réussi est celui de la Corée du Nord et du Sud, c'est quasiment une expérience de science dure, prenez un pays, coupez le en deux, ajoutez des institutions différentes et observez les différences. Celui avec les pires institutions est pauvre et l'autre est riche. O.K. et par K.O. La géographie ne peut pas avoir le moindre rôle ici.
Mais poursuivons un peu plus cet argumentaire, d'après cette thèse, un pays qui imposerait les mêmes institutions partout sur son territoire ne devrait connaître aucune inégalité spatiale. Certains se poseront la question du Sud et du Nord de l'Italie, perso, c'est aux régions ultra-périphériques d'Europe que je pense.
Prenez la Réunion, qui faisait partie de la France avant Nice, et où il y a à l'heure actuelle et depuis des décennies les mêmes institutions qu'en France. Comment expliquer les différences de développement sans avoir recours à la géographie? La distance qui sépare ces régions des marchés est un véritable handicap tant pour les consommateurs que pour les producteurs et hélas les institutions et les politiques sont impuissantes face ces obstacles géographiques. Ne vous méprenez pas, je ne dis pas que les institutions n'ont rien à voir, après tout l'ère coloniale a induit une spécialisation très forte sur la canne à sucre qui a été catastrophique et qui se ressent encore (voir Candau, Hoarau et Rey, 2012), mais la géographie, hélas, compte toujours. C'est un thème récurrent en éco inter, les coûts spatiaux à l'échange sont réels et handicapants.
Idem la révolution industrielle ne serait due qu'aux institutions, pourtant il y des historiens reconnus comme Pommeranz qui ont montré que la proximité des mines de charbon facilement exploitables en Angleterre a aussi été déterminante (la Chine avait (et a toujours) beaucoup de charbon mais dans les terres et donc inexploitable à l'époque). De plus la diffusion de la révolution industrielle s'explique sans doute mieux par la distance à l'Angleterre (voir Combes, Mayer et Thisse, 2008) que par les similitudes d'institutions. Il me semble aussi que North (je ne suis pas sûr que ce soit lui, je vous laisse chercher) a montré que la croissance des U.S. aurait été bien moindre sans les ressources énergiques importantes et disponibles.
Enfin la thèse que la géographie et notamment le climat n'a aucun pouvoir explicatif en Afrique est tout simplement incompréhensible. J'avoue que j'aimerais comprendre, j'ai souvent lu des gens tel qu' Easterly tenir les mêmes propos, pourtant de nombreux scientifiques ont montrés que plusieurs épidémies, dont la malaria, se répandaient beaucoup plus vite dans les pays tropicaux. Or un pays avec une population malade et une agriculture difficile a toutes les chances d'être pauvre indépendamment des institutions. La causalité institution-pauvreté reste à prouver dans ces cas là, sans doute que l'on a d'autant plus de (mal)chance de se retrouver avec une mauvaise gouvernance quand on souffre de problèmes climatiques. Voir entre autres les études de Jeffrey Sachs et cette book-review de Jared Diamond qui critique vivement cette vision des auteurs.
Pour conclure, je vais faire un lien avec le précédent bouquin que j'ai commenté "Thinking fast and slow" de Kahneman. Je crois qu'Acemoglu et Robinson ont voulu simplifier au maximum pour que l'on retienne leur thèse: ils parlent à notre fameux système 1, en mettant plein d'exemples historiques ils "occupent notre mémoire, ce qui réduit notre capacité à penser" d'après Kahneman. C'est cependant un peu gros, pas besoin d'aller rejeter tous ce qui n'est pas estampillé Acemoglu, pour être convaincu que les institutions sont très importantes.
Ci-dessous un graphique issu d'une présentation de Robinson résumant la thèse de l'ouvrage sur les cercles vicieux et vertueux qui est vraiment splendide.
Je crois que ces mécanismes sont si bien fondés qu'on les retrouve sous d'autres formes par d'autres chercheurs. Par exemple la thèse de Rodrik, résumé il y a quelques jours par le graphique suivant m'a étonné par sa ressemblance.
Dans sa revue du JEL de "Why nations fail", Bentley MacLeod lui a été frappé par les similitudes avec l'ouvrage de Besley et Persson où les auteurs insistent aussi sur les interactions entre économies et institutions. Bref, à n'en pas douter, les institutions sont centrales car elles orientent nos incitations.
F. Candau
Biblio
Cet ouvrage de plus de 500 pages, est un brillant plaidoyer mettant en avant l'importance des institutions pour expliquer la croissance des nations. Les détails historiques sont hallucinants, les auteurs passent en revue les origines de la richesse ou de la pauvreté de plusieurs nations sur plusieurs siècles. Au travers du temps et de l'espace la thèse centrale est que des institutions politiques inclusives, littéralement qui incluent le plus grand nombre de citoyens, alliées à une économie qui le serait tout autant seraient LA source de croissance.
J'hésite à critiquer cet ouvrage, c'est vraiment un bon bouquin, je vais d'ailleurs m'en servir pour mes cours, mais tout de même comme je le recommande je souhaite aussi mettre en garde. Il ne fait aucun doute que les institutions sont centrales, et je pense, comme les auteurs, qu'elles sont souvent le déterminant décisif, mais ce que je ne cautionne pas l'idée qu'elles sont l'unique déterminant. Le thème "Theories that don't work" n'est pas convainquant.
Les auteurs avancent ainsi tout au long du livre que des éléments tels que la culture et la géographie n'ont aucune valeur explicative. C'est faux et d'ailleurs il est troublant de relire le livre en cherchant des éléments justifiant l'importance de ces deux éléments, on en trouve à la pelle.
Les auteurs nous explique par exemple que les espagnols lorsqu'ils colonisent l'Amérique du Sud trouvent des lieux où ils peuvent exploiter la population, à l'inverse les anglais n'en trouvent pas et sont obligés de faire venir des européens. Comme les européens sont plus difficilement exploitables, de nouvelles institutions, plus inclusives et qui incitent à l'effort sont créées, d'où le gap de développement observé aujourd'hui. J'en conclu donc que les revendications culturelles (avoir des droits!) des travailleurs et entrepreneurs (c'est anachronique mais ça permet de résumer) importés ont eu un rôle tout aussi important que les institutions qu'ils ont fait naître.
Idem pour la géographie, les auteurs nous offrent tout un tas d'exemples apparemment indiscutables. Le plus réussi est celui de la Corée du Nord et du Sud, c'est quasiment une expérience de science dure, prenez un pays, coupez le en deux, ajoutez des institutions différentes et observez les différences. Celui avec les pires institutions est pauvre et l'autre est riche. O.K. et par K.O. La géographie ne peut pas avoir le moindre rôle ici.
Mais poursuivons un peu plus cet argumentaire, d'après cette thèse, un pays qui imposerait les mêmes institutions partout sur son territoire ne devrait connaître aucune inégalité spatiale. Certains se poseront la question du Sud et du Nord de l'Italie, perso, c'est aux régions ultra-périphériques d'Europe que je pense.
Prenez la Réunion, qui faisait partie de la France avant Nice, et où il y a à l'heure actuelle et depuis des décennies les mêmes institutions qu'en France. Comment expliquer les différences de développement sans avoir recours à la géographie? La distance qui sépare ces régions des marchés est un véritable handicap tant pour les consommateurs que pour les producteurs et hélas les institutions et les politiques sont impuissantes face ces obstacles géographiques. Ne vous méprenez pas, je ne dis pas que les institutions n'ont rien à voir, après tout l'ère coloniale a induit une spécialisation très forte sur la canne à sucre qui a été catastrophique et qui se ressent encore (voir Candau, Hoarau et Rey, 2012), mais la géographie, hélas, compte toujours. C'est un thème récurrent en éco inter, les coûts spatiaux à l'échange sont réels et handicapants.
Idem la révolution industrielle ne serait due qu'aux institutions, pourtant il y des historiens reconnus comme Pommeranz qui ont montré que la proximité des mines de charbon facilement exploitables en Angleterre a aussi été déterminante (la Chine avait (et a toujours) beaucoup de charbon mais dans les terres et donc inexploitable à l'époque). De plus la diffusion de la révolution industrielle s'explique sans doute mieux par la distance à l'Angleterre (voir Combes, Mayer et Thisse, 2008) que par les similitudes d'institutions. Il me semble aussi que North (je ne suis pas sûr que ce soit lui, je vous laisse chercher) a montré que la croissance des U.S. aurait été bien moindre sans les ressources énergiques importantes et disponibles.
Enfin la thèse que la géographie et notamment le climat n'a aucun pouvoir explicatif en Afrique est tout simplement incompréhensible. J'avoue que j'aimerais comprendre, j'ai souvent lu des gens tel qu' Easterly tenir les mêmes propos, pourtant de nombreux scientifiques ont montrés que plusieurs épidémies, dont la malaria, se répandaient beaucoup plus vite dans les pays tropicaux. Or un pays avec une population malade et une agriculture difficile a toutes les chances d'être pauvre indépendamment des institutions. La causalité institution-pauvreté reste à prouver dans ces cas là, sans doute que l'on a d'autant plus de (mal)chance de se retrouver avec une mauvaise gouvernance quand on souffre de problèmes climatiques. Voir entre autres les études de Jeffrey Sachs et cette book-review de Jared Diamond qui critique vivement cette vision des auteurs.
Pour conclure, je vais faire un lien avec le précédent bouquin que j'ai commenté "Thinking fast and slow" de Kahneman. Je crois qu'Acemoglu et Robinson ont voulu simplifier au maximum pour que l'on retienne leur thèse: ils parlent à notre fameux système 1, en mettant plein d'exemples historiques ils "occupent notre mémoire, ce qui réduit notre capacité à penser" d'après Kahneman. C'est cependant un peu gros, pas besoin d'aller rejeter tous ce qui n'est pas estampillé Acemoglu, pour être convaincu que les institutions sont très importantes.
Ci-dessous un graphique issu d'une présentation de Robinson résumant la thèse de l'ouvrage sur les cercles vicieux et vertueux qui est vraiment splendide.
Je crois que ces mécanismes sont si bien fondés qu'on les retrouve sous d'autres formes par d'autres chercheurs. Par exemple la thèse de Rodrik, résumé il y a quelques jours par le graphique suivant m'a étonné par sa ressemblance.
Dans sa revue du JEL de "Why nations fail", Bentley MacLeod lui a été frappé par les similitudes avec l'ouvrage de Besley et Persson où les auteurs insistent aussi sur les interactions entre économies et institutions. Bref, à n'en pas douter, les institutions sont centrales car elles orientent nos incitations.
F. Candau
Biblio
- Candau, Hoarau, Rey, 2012. L’impact de la distance et de l’intégration sur le commerce d’une région ultrapériphérique d’Europe: l’île de La Réunion. European Journal of Development Research (2012) 24, 808–831. doi:10.1057/ejdr.2012.17; published online 31 May 2012 and avaible on repec http://ideas.repec.org/f/pca221.html
- Pierre-Philippe Combes, Thierry Mayer & Jacques-François Thisse, 2008, Economic Geography: The Integration of Regions and Nations, Princeton.
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