10 avril 2013

La mondialisation réduit les pollutions!?

L'intégration économique est-elle néfaste à l'environnement?
Frankel et Rose (2005) propose le graphique suivant reliant la pollution de SO2 à un indicateur d'ouverture.


Une relation décroissante semble donc à l'oeuvre, notamment pour les pays autoritaires (en bleu). En d'autres termes, à une ouverture forte est associée un niveau plus faible de pollution. C'est quand même très bizarre, non?

Théorie économique
La littérature s’intéressant au commerce et à l'environnement a décomposé l’effet de la libéralisation commerciale entre des effets d’économie d'échelle, de technologie et de composition. Avec les économies d’échelles, plus de croissance économique implique une augmentation de la pollution. En revanche, si l'environnement est un bien normal (à raison de plus si c'est un bien de luxe), c'est à dire un bien dont la consommation augmente avec le revenu, alors une plus forte croissance devrait conduire à une demande environnementale plus importante.
Cet effet technique est assez clairement observé pour les voitures dont le niveau de pollution a diminué fortement au cours du siècle derniers.
Les effets d'échelles et de technologies, qui s'opposent, mettent donc en avant l'impact du revenu sur l'environnement. Le rôle du commerce est ici indirect, c'est en impactant sur les revenus qu'il influence le niveau de pollution.
Mais l'ouverture a évidemment un effet plus direct, dénommé effet de composition. Cet effet dépend des avantages comparatifs : avec l’ouverture commerciale apparait la spécialisation productive des pays, et, dès lors, la pollution va dépendre du secteur dans lequel le pays va se spécialiser. Cet effet est ambigu, les conséquences d’une spécialisation autour de biens polluants dépendent, des avantages comparatifs de départ, des revenus et des effets de substitution.
L'impact positif de cet effet provient du fait que les pays développés devraient se spécialiser dans les biens intensifs en capital qui sont justement les plus polluants, or dans la mesure où la réglementation est plus forte dans ces pays, une telle spécialisation devrait permettre de réduire les niveaux de pollution.
L'impact négatif est que l'avantage comparatifs dans les biens intensifs en capital est réduit par une politique environnementale plus dure dans les pays développés ce qui peut conduire à une réorganisation spatiale des activités polluantes vers les pays en développement plus laxistes sur ces questions. Des havres de pollution peuvent alors apparaître. Il est à noter que même si les firmes ne se délocalisent pas, la simple crainte des délocalisations et/ou de crise dans certains secteurs peut conduire à moins de restrictivité environnementale dans les pays développés.
Au final donc, la réponse à la question "la mondialisation est-elle néfaste à l'environnement?" est loin d'être évidente. A l'argument classique qui consiste à penser que la mondialisation multiplie les échanges et donc les pollutions (liées aux transports), s'oppose des gains liés à une meilleur exploitation des ressources sur les avantages comparatifs des territoires (à la condition que les réglementations environnementales soit efficacement alloués aux secteurs polluants).

Variables Instrumentales
Compte tenu de ce qui vient être énoncé, nous pourrions tester ces intuitions en estimant l'équation suivante:

$Poll_{i,t+2}=\alpha_{1}\phi{}_{it}+\alpha_{2}\ln\frac{Y_{it}}{L_{it}}+\alpha_{3}\ln\left(\frac{Y_{it}}{L_{it}}\right)^{2}+\alpha_{4}\ln\frac{Area_{it}}{L_{it}}+\lambda_{t}+\varepsilon_{it}$    (1)

où la variable $\phi$ est une mesure de l'ouverture et L la population. Le PIB par tête au carré est là pour vérifier le fait que la croissance peut entrainer soit une augmentation des pollutions dans les premiers stades de développement, soit une augmentation à un stade plus avancé (voir explication précédente sur la demande de protection env), c'est la courbe environnementale de Kuznets.  
Que nous dit l'analyse économétrique sur cette équation? De faire attention aux pb d'endogéneité! Hors de question par exemple de régresser cette équation en prenant un indicateur d'ouverture construit directement avec des données d'export et d'import. En effet, quid des variables absentes qui influencent indépendamment ce type d'indicateur et la pollution. Si par exemple la mondialisation favorise l'urbanisation, qui in fine influence la pollution, alors une simple régression qui estimerait directement l'ouverture sur l'emploi souffrira d'un problème d'endogéneité. L'endogéneité est encore plus évidente si l'on songe au PIB. En effet, d'une part les équations de gravité montrent qu'une augmentation de 1% du PIB a un impact de 1% sur les exportations et d'autre part, les travaux sur la courbe environnementale de Kuznet montre que la croissance du PIB a un impact sur la pollution (la forme de la relation variant suivant les types de pollution). Le schéma suivant, proposé par Frankel et Rose (2005) résume ces liens qui relient PIB, commerce et environnement.

 
Il faut donc virer le PIB de l'indicateur d'ouverture si l'on souhaite résoudre le problème d'endogéneité. Pour cela Frankel et Rose (2005), Frankel (2009) et Chintrakarn et Millimet (2006) proposent d'utiliser une équation de gravité n'intégrant que des variables considérées comme exogènes (populations, distance). A partir des estimations ils calculent la valeur prédite qu'ils utilisent comme indicateur d'ouverture. Idem pour le PIB qui est endogène, les auteurs (Equation 5) estiment la formulation suivante: 

$\ln\frac{Y_{it}}{L_{it}}=a_{1}\phi{}_{it}+a_{2}\ln\frac{Y_{i,t-k}}{L_{i,t-k}}+a_{3}\ln L_{it}+a_{4}\ln e_{it}+\lambda_{t}+\widehat{\varepsilon}_{it}$
 
le terme e est le taux de croissance de la population. A partir de cette estimation Y/L est recalculée sans l'erreur (valeur prédite, notée avec un chapeau) pour estimer l'équation suivante:

$\ln\frac{Y_{it}}{L_{it}}=b_{1}\phi{}_{it}+b_{2}\ln\widehat{\left(\frac{Y_{it}}{L_{it}}\right)}+b_{3}\ln\widehat{\left(\frac{Y_{it}}{L_{it}}\right)}^{2}+b_{4}\ln\frac{Area_{it}}{L_{it}}+\lambda_{t}+\varepsilon_{it}$
 
La même équation est estimée en mettant le pib par tête au carré à gauche pour ensuite tester la courbe environnementale de Kuznets.

C'est un peu du bricolage, mais les tests semblent montrer que ça fonctionne bien (voir Chintrakarn et Millimet (2006) qui teste une instrumentalisation différente qui performe moins bien pour le pib par tête). Ayant en main ces instruments ils estiment (enfin!) l'Equation 1.
Les résultats de cette estimation nous enseigne que le $\alpha_{1}$ est significativement négatif (non maiiiis, allez voir l'Equation 1 au lieu d'attendre l'interprétation): l'intensité commerciale, ou du moins son instrument, permet de diminuer le niveau de pollution aux USA (quoique faiblement). Voir aussi McAusland et Millimet (2013), ces auteurs analysent non seulement les effets des échanges américains avec les reste du monde i.e commerce international mais aussi les effets du commerce entre Etats américains. La différence entre commerce régional et international peut être analysée via la notion de "taxe exportée" étudiée en concurrence fiscale (Gordon, 1983): le régulateur est plus enclin à taxer les entreprises qui exportent que les firmes locales car le poids de la taxe peut être reportée sur le consommateur étranger. Si l'on rajoute à cet argument que les firmes exportatrices sont souvent de grande taille alors que les firmes locales, incapable d'exporter sont souvent plus fragiles, on ne sera pas étonné que cette exportation fiscale soit possible. Bref, avec ces arguments théoriques on s'attend à ce que l'échange régional soit plus polluants que l'échange international et c'est précisément ce qui est obtenu par les auteurs! J'ai quand même beaucoup de mal à y croire. Je me demande ce que tout ceci donnerait si l'on prenait en compte les transports internationaux qui ont de plus tendance à augmenter avec la fragmentation internationale des processus de production.
 

F. Candau

Références 
  • Chintrakarn P, D. Millimet. 2006. The environmental consequences of trade: evidence from subnational trade flows, Journal of Environmental Economics and Management, 52, 430–453.
  • McAusland C, D Millimet. 2012. Do national borders matter? Intranational trade, international trade, and the environment. Journal of Environmental Economics and Management
  • Frankel J, A.K. Rose. 2005. Is trade good or bad for the environment? Sorting out the causality, Review of Economics and Statistics 87, 85–91.
  • R.H. Gordon, An optimal taxation approach to fiscal federalism, Quarterly Journal of Economics 98 (1983) 567–586.

1 commentaire:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer