29 juin 2010

Institutions et Performance économique- E.Helpman: Guerres civiles et développement

J. Fearon part du constat que depuis 60 ans les Guerres civiles se forment toujours dans les mêmes circonstances, concernant près de 40% des pays de plus d’un demi-million d’habitants, tuant au moins un milliers de personnes. C’est la plus grande source de migrations forcées de 20ème siècle. Il est évident que les dommages causés par ce type de conflits sont considérables sur les économies.
C’est pourquoi la littérature économique s’est de plus en plus penchée sur les effets des guerres civiles sur l’économie et inversement la relation entre niveau initial de développement, insurrections et guerres civiles.

La plupart des guerres civiles ont la même architecture, à savoir qu’il s’agit pour la plupart de guérillas opposant les forces armées gouvernementales, menant une contre-insurrection contre les guérilleros, dont la force d’attaque est toujours minoritaire et clandestine. Les forces rebelles agissent la nuit en zones rurales, par des opérations ciblées, alors que l’armée agit de jour en zone urbaine. Autrement dit, il n’y a pas d’affrontement physique entre les deux camps, mais seulement un jeu visant à semer la terreur chez les adversaires et à susciter le plus d’adhésion et de soutien financier de la population et des entreprises locales. En effet, les taxes récoltées par les rebelles et le gouvernement sont les seules sources valables de financement et un moyen efficace de nuire au camp adverse via une réduction de l’assiette fiscale disponible. C’est le schéma qui s’est observé au Vietnam, Guatemala, Salvador, Colombie, Algérie, Philippines, Turquie, Pérou, Inde du Nord, Thaïlande, Cachemire, Népal, Indonésie, Mozambique, Sudan…Par ces exemples, le lecteur constate de lui-même la corrélation entre le revenu par tête relativement faible pays et la probabilité d’occurrence de tels conflits internes. Fearon montre même l’importance relative des revenus par tête dans l’explication des guerres civiles de manière, en démontrant qu’une fois les revenus initiaux contrôlés, le degré de démocratie, la diversité religieuse, les ethnies ou encore le degré des inégalités n’ont quasiment aucun pouvoir explicatif. Fearon cherche à répondre à deux questions :
-    Comment expliquer la persistance historique de ce type de conflit interne, très caractéristique depuis 1945 ? la question sous-jacente étant : qu’est ce qui empêche toute négociation entre forces armées gouvernementales et rebelles, entraînant des dommages collatéraux économiques et humains considérables ?
-    Qu’est ce qui explique la relation très forte entre faible revenu par tête et risque élevé de guerre ?



 Fearon cherche à résoudre ces deux questions en adaptant la théorie des jeux à ce contexte, les deux joueurs étant le gouvernement et le leader des rebelles. Il démontrera l’inefficacité relative des précédents modèles vus dans la littérature économique (Grossman 1991, 2002 ; Hirshleifer 1995 ; Skaperdas 1992). En effet, contrairement à ses prédécesseurs, James Fearon intègre une composante de violence dans son modèle qui permet d’intégrer le fait que dans le cadre d’une guérilla (qui on le rappelle oppose des forces armées déséquilibrées), le risque pour les guérilleros de déclencher des combats est important : cela implique une probabilité de détection et de capture beaucoup plus importante, qui à terme finirait par mater la rébellion en capturant tous les combattants. D’un autre côté le déséquilibre des forces entre Rebelles et militaires est incontournable car plus les rebelles enrôleraient d’hommes, plus le risque d’infiltration est grand : Fearon parle de rendements décroissants des forces rebelles dans le succès d’une insurrection.

Les modèles de la littérature appliqués aux guerres civiles.
On considère un jeu, les deux joueurs étant le gouvernement (G) et le leader des rebelles (R) qui interagissent en société dont le revenu par tête est y, chacun disposant d’un revenu positif (y>0). Les recettes fiscales potentielles pour lesquelles ils jouent s’écrivent t.y, avec y le revenu/tête et t le taux de prélèvement fixé. Le jeu commence par l’enrôlement d’hommes en proportion α ϵ[0,1] par le leader rebelle et en proportion β ϵ[0,1] par le chef des armées, le choix d’ α et β se faisant de manière simultanée, au cout marginal cR et cG. Dans le cadre de ces modèles, la fonction qui détermine le succès de l’insurrection (mesurée en terme de part des revenus fiscaux contrôlés par les rebelles) s’écrit p(α, mβ) pour un niveau fixé des forces militaires employées et m un paramètre positif d’efficacité de la contre-insurrection menée par les forces gouvernementales.
Les fonctions d’utilité des deux joueurs s’écrivent :
UR(α, β)= p(α, mβ).ty .(1- α- β) - cR α
UG(α, β)= (1- p(α, mβ)).ty .(1- α- β) – cG β
L’hypothèse de base face à ces deux fonctions d’utilité est qu’on considère qu’avoir plus de soldats ou rebelles enrôlés, le nombre d’adversaires est constant donne permet d’obtenir des revenus fiscaux plus importants (dp/dα>0), à travers un taux de rendement décroissant (d²p/ dα<0).

L’analyse de ces fonctions d’utilité est nécessaire pour comprendre comment la variation des revenus par tête (approximés ici par y) va affecter les niveaux d’équilibres des conflits civils, eux même déterminés par la maximisation des fonctions d’utilité de G et R. C’est ici que Fearon va montrer l’inefficacité de ces modèles, qui arrivent à une conclusion non pertinente au regard des faits stylisés. En effet si y le revenu augmente, les rendements marginaux de la rébellion ou réciproquement de la contre-insurrection vont augmenter via l’augmentation de l’assiette fiscale. Or si α et β sont les niveaux d’équilibre avant augmentation des revenus, alors lorsqu’y augmente, du fait de la décroissance des rendements du nombre d’hommes combattants sur la capture de nouveaux revenus fiscaux, alors les parts d’hommes combattant dans les ramées respectives des rebelles et du gouvernement vont être plus importantes. Ce qui est très irréaliste puisque cela revient à affirmer que lorsque un pays devient plus riche, c’est plus avantageux pour lui de s’engager dans une guerre civile, impliquant une part de la population plus grande. Dans un second plan, une autre limite est logée dans la spécification des couts marginaux de l’enrôlement des rebelles et militaires. En effet, lorsque le revenu y augmente, les couts cR et cG demeurent constants, ce qui revient à affirmer que de loger nourrir et blanchir des soldats auraient le même cout quelque soit le niveau de vie.

Dans cette perspective, une spécification alternative avait été proposée : en supposant que plutôt que la réquisition, c’est une embauche moyennant un salaire que les joueurs R et G doivent accomplir. Le salaire incite alors les hommes à s’engager dans la guerre civile, évinçant en partie le risque de mourir, par une contrepartie financière non négligeable puisque le salaire w est égal voire infinitésiment supérieur au revenu par tête y. De ce fait, les revenus vont variés au sein de la population avec yi suivant une fonction de distribution cumulative, notée F. Si l’allure de la fonction n’est pas impactée par une variation du revenu par tête moyen, alors le niveau de vie n’affectera toujours pas les couts marginaux et donc les niveaux d’équilibre des forces d’attaque des deux adversaires. Ce postulat permet en tout cas d’insérer dans le modèle une inégalité de revenu qui représente une source d’incitation affectant les niveaux d’équilibre. Mais la spécification du modèle sous sa forme réduite ne permet pas d’obtenir des résultats conciliants avec la réalité des guérillas dans les pays pauvres. En outre, Fearon souligne que les probabilités de guerre civile ne sont empiriquement pas plus élevées dans les pays inégalitaires. Ces modèles de la littérature ne permettent donc pas d’expliquer réellement la relation entre ce type de conflits et les revenus par tête.



Mafieux, Guérilleros quelle différence ?
A titre de transition de la littérature vers son propre modèle, Fearon analyse les différences entre criminels, organisation mafieuse et groupe de rebelles. En effet, il semble évident que les criminels dans leur sens le plus commun cherche à exercer leurs crimes et délit dans l’anonymat afin d’éviter toute reconnaissance de responsabilité et punition. De fait, les criminels ne répètent jamais le même crime sur les mêmes personnes et/ou dans les mêmes lieux afin d’éviter leur perdition. Les mafias à l’inverse, sont des organisations criminelles qui n’agissent pas dans la clandestinité. En effet, afin de capter des rentes et taxes sur le dos des contribuables, elles se font connaitre de la population et risquent donc la dénonciation. Qu’est ce qui leur permet de perdurer dans le temps ? D’une part, l’organisation très hiérarchique, qui permet l’exercice d’un contrôle sur chaque membre et d’autre part des menaces de représailles et l’exercice d’une terreur sur les sujets afin de limiter le risque de dénonciation auprès des autorités. Il en est de même pour une organisation de rebelles, qui se finance grâce à des taxes « révolutionnaires » ponctionnées sur les paysans principalement, en zone rurale et qui s’expose au risque d’être connu et dénoncé au gouvernement. La différence fondamentale entre mafia et rébellion c’est que le crime n’a pas le même objectif. Une guerre civile est avant tout menée en vue d’un changement radical de système politique.En outre, une insurrection demeure le plus souvent réduite en nombre et en forces armées comparées aux forces gouvernementales, si bien qu’il est nécessaire de rester dans la clandestinité afin de survivre. De fait, Fearon base son modèle sur l’hypothèse suivante : l’addition de rebelles enrôlés augmente le risque de capture et de mise en péril de tout le groupe armé, pour une taille donnée du gouvernement.


Un modèle d’insurrection


Fearon considère à nouveau  un jeu entre le chef du gouvernement (taille de l’armée β ϵ [0,1]) et celui des rebelles (taille de l’insurrection α ϵ [0,1]), ponctionnant chacun des taxes sur les revenus privés, à un taux fixé t ϵ[0,1]. Le total des recettes fiscales s’élève à t.y (1-α-β) avec y le revenu par tête (fois la population non enrôlée dans le combat).
Le modèle prévoit qu’une fraction p(α,mβ) de rebelles est capturée ou tuée par l’armée du gouvernement, avec le paramètre m supérieur à 0, le paramètre d’efficacité du gouvernement dans la contre-insurrection. Si bien que la taille du groupe de rebelles s’écrit α(1-p(α,mβ), qui collecte ses taxes révolutionnaires sur la part de la population non impliquée dans le conflit.
Le total des recettes fiscales pour les rebelles s’écrit à présent t.y.α (1- p(α,mβ)). Le gouvernement collecte ses taxes sur les revenus des paysans non « contrôlés » par les rebelles, autrement dit les travailleurs qui ne soutiennent pas le mouvement d’insurrection.

Le modèle de Fearon diffère donc de la littérature par l’introduction de p(α,mβ), reflétant le risque de capture des rebelles, fonction croissante de ses deux arguments, à savoir la taille du groupe armé (risque de dénonciation croissant) et l’efficacité du gouvernement dans le conflit. La proportion de rebelles capturés est égale à α. p(α,mβ) = k(α,mβ)

Les deux fonctions d’utilité s’écrivent à présent
UR(α, β)= t.y.min{(1- α- β, α-k(α-mβ)} - cR α
Où le leader des rebelles fixe un taux de taxation, minimisant le risque de capture de ses troupes
UG(α, β)= t.y.max {(0,1- α- β- α-k(α-mβ)}- cG β
Et le chef du gouvernement fixe son taux de taxation, maximisant son assiette fiscale et la capture des rebelles. 

Ce graphique illustre les fonctions de réactions des deux joueurs, donc α(β) est la taille de force optimale des rebelles pour un niveau de contre-insurrection gouvernementale donnée et inversement  β(α) est la taille optimale des forces du gouvernement étant donné le niveau d’insurrection. On note que l’équilibre de Nash se trouve à l’intersection des deux courbes  (α*, β*). Autrement dit, l’analyse du modèle doit se faire via les meilleures réactions des joueurs étant donné l’agissement de l’adversaire.
-    Si les rebelles sont en nombre trop limité, α inférieur au αmin, alors le gouvernement n’a aucun intérêt à employer des forces armées dans la contre-insurrection. La meilleure réponse est β=0.
-    Dès que la taille de la guérilla dépasse le seuil α supérieur au αmin, le gouvernement a un intéret majeur à se lancer dans la contre-insurrection, car les rebelles captent une part importante de l’assiette fiscale
-    Considérant la meilleure réaction des rebelles, deux  forces contradictoires interagissent : d’une part, la volonté de se financer et de susciter le soutien financier d’une part plus importante de la population, et d’autre part la contrainte du risque de dénonciation.

Une fois le modèle explicité, une question fondamentale demeure ? Qu’en est-il du lien avec le revenu par tête et le niveau de développement d’un pays ? En effet, la question est au départ de s’interroger sur la prépondérance des conflits civils dans les pays pauvres. Fearon avance deux arguments :
-    Les revenus n’ont font aucune différence dans le modèle car certes, une assiette fiscale plus importante représente une incitation positive pour les insurgés et gouvernements à combattre, mais cela implique des couts e fonctionnement beaucoup plus élevés (embauches, intendance…)
-    Aspect politique, les pays en développement sont les plus concernés par les lacunes des systèmes politiques, poussant à la rébellion d’une partie de la population.


Finalement Fearon précise qu'on ne peut pas théoriquement démontrer la relation entre pays pauvres et guerres civiles sans supposer que les populations et les combattants seraient plus averses au risque dans les pays riches, subissant un cout d'opportunité à s'engager dans le combat beaucoup plus fort du fait de leur niveau de vie initial.
Selon Fearon, les paramètres du modèle représentant l'efficacité du gouvernement à mener une contre-insurrection et la part du revenu national qui peut être prélevée par les guérilleros, permettent d'annoncer les premiers éléments de réponse. En effet, d'après les faits stylisés, ces paramètres auraient une probabilité beaucoup plus importante d'être forts dans les pays pauvres. Ainsi, l'équilibre "violent" (α*, β*) mis en évidence par Fearon a une probabilité plus forte d'être atteint dans un pays faiblement développé.

4 commentaires:

  1. MacroPED6/29/2010

    Avez-vous fini avec Helpman?

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  2. Non, Ce n'ai pas fini. Ce post est d'ailleurs la suite de la partie théorique de l'ouvrage. J'aurais sans doute du le préciser.

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  3. MacroPED7/01/2010

    Merci beaucoup...

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  4. MacroPED7/01/2010

    Merci beaucoup...

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