12 janvier 2010

La sous-évaluation du Yuan à la lumière des modèles de taux de change d'équilibre- 1er volet


Introduction

La sous-évaluation de la monnaie chinoise est souvent dénoncée comme l’une des causes des déséquilibres mondiaux. En effet, Les Etats-Unis, qui enregistrent un déficit historique de leur balance courante, atteignant près de 5,3% du PIB (OECD Factbook 2009), accusent régulièrement la Chine d’être en partie responsable du creusement de leur déficit commercial. La politique de change de la Chine est donc très souvent décriée, car elle remet potentiellement en question
 les « règles du jeu » du commerce international. L’analyse du taux de change réel est donc particulièrement pertinente dans le cadre de la politique de change chinoise, illustrant au mieux, l’instrumentalisation du taux de change.
On rappelle la définition exacte du taux de change réel : le taux de change réel entre deux pays est le prix relatif d’un panier de biens de référence, autrement il s’agit de la comparaison du coût d’un même panier de biens, une fois les monnaies converties dans un même numéraire. Ainsi, on peut citer l’exemple de la Parité des Pouvoirs d’Achat (PPA), théorie du taux de change réel, qui considère qu’une fois les monnaies nationales converties dans une même monnaie de référence (par exemple le dollar), le prix relatif du panier de biens de référence est constant et égal à 1. Or, cette première théorie du taux de change réel n’est pas vérifiée empiriquement, puisqu’on constate des écarts importants de pouvoir d’achat entre les différentes monnaies, et on constate que le taux de change réel peut même être un instrument au service de la politique commerciale, en maintenant par exemple, la valeur réelle de la monnaie sous évaluée afin de favoriser les exportations, ou à l’inverse en tentant de conserver une monnaie « forte » afin de minimiser le coût des importations, dans le contexte actuel où beaucoup de pays ne disposent pas de matières énergétiques et subissent l’explosion du coût d’acquisition des minerais.
Ainsi face à la mise en évidence de cette « instrumentalisation » de la monnaie, il fût indispensable de construire de nouveaux modèles explicatifs afin de comprendre la formation du taux de change réel, ce qui permettrait ensuite d’évaluer les politiques de change des pays en comparant le taux de change réel observé avec sa valeur dite d’équilibre.

Une utilité à étudier les déséquilibres monétaires

Les années 80 ont donc vu s’étoffer la théorie économique sur les mécanismes de fluctuation du taux de change d’une monnaie, ce qui a permis d’enrichir l’analyse à la fois politique et économique du Commerce International et des problèmes liés à l’intégration des pays émergents dans l’Economie Mondiale. C’est en effet, un des problèmes présents dans la littérature actuelle, les pays émergents ont besoin de créer des avantages comparatifs, afin de s’intégrer massivement dans le Commerce Mondial et ainsi propulser leur croissance économique. Or, pour cela, il est nécessaire que leur politique commerciale agisse activement pour favoriser les exportations et gagner des parts de marché ; ce qui va le plus souvent à l’encontre des principes de l’OMC, qui depuis la fin de la guerre mets tout en œuvre pour éliminer toute tentative protectionniste. L’instrumentalisation du taux de change est donc souvent condamnée comme étant créatrice d’un biais dans les lois du Commerce International. La Chine est bien évidemment au cœur de ce débat en tant que pays émergent ayant amorcé sa croissance économique par le biais d’une augmentation exponentielle de ses exportations et de ce fait par sa participation au Commerce International.
Il est aujourd’hui bien connu que les mésalignements d’une monnaie par rapport à sa valeur d’équilibre, ont des conséquences à la fois sur l’équilibre interne et externe d’une économie. En effet, une monnaie sur ou sous évaluée entraîne des modifications dans la répartition sectorielle des revenus, avec des transferts importants entre les secteurs importateurs qui se trouvent pénalisés et les secteurs exportateurs pour qui une sous évaluation de la monnaie est un levier considérable pour relancer les ventes face aux devises étrangères. La politique de change peut donc favoriser une allocation des ressources plus efficiente, dans le sens où elle va dynamiser les secteurs exportateurs d’où une concentration des investissements dans les secteurs les plus productifs et ainsi permettre de relancer la croissance économique. Cependant l’instrumentalisation du taux de change n’est pas sans conséquences sur les pays étrangers, qui voient leurs exportations pénalisées de manière arbitraire, contre leur gré, et leur balance commerciale déséquilibrée. Néanmoins, même à l’étranger, une appréciation de la monnaie peut entraîner une allocation des ressources internes plus efficiente, dans le sens où toutes les économies possibles seront faites pour compenser la perte de compétitivité liée au change. Si un pays domestique a besoin de dynamiser ses exportations en sous évaluant sa monnaie, les pays partenaires peuvent contourner le déséquilibre commercial, en menant des politiques d’amélioration interne de l’allocation des ressources. C’est ainsi que l’Allemagne a su se placer en tête des meilleurs exportateurs mondiaux, malgré une monnaie européenne très forte, en menant des politiques internes de réallocation des ressources très actives. Leur équilibre interne est donc également bouleversé par les fluctuations du change.
En outre, des monnaies qui s’écartent de leur valeur fondamentale perturbent les équilibres externes avec des ajustements des flux commerciaux importants qui entraînent un creusement des déficits commerciaux et des excédents qui gonflent de manière exponentielle dans certains cas. Les investissements directs étrangers sont également influencés par les fluctuations de la monnaie, et les effets d’une arrivée massive, mais surtout d’un retrait brutal des capitaux étrangers peuvent avoir de lourdes conséquences sur les économies notamment émergentes, puisque ce sont elles qui instrumentalisent encore aujourd’hui la valeur de leur monnaie : pays asiatiques, pays du Maghreb…

Les premiers modèles d'équilibre du taux de change réel

Plusieurs modèles ont ainsi vu le jour depuis le début des années 80 et l’échec de la PPA, tels que le modèle FEER de Williamson, le modèle BEER de Mc Donald, le modèle d’Edwards appliqué aux économies de taille réduite et enfin, en réaction à ses prédécesseurs Stein établie le modèle NATREX (Natural Exchange rate)
En 1983, Williamson tente de répondre aux difficultés de vérification empirique de la PPA, en proposant de rechercher un taux de change réel d’équilibre appelé FEER « Fundamental Equilibrium Exchange Rate ». Son idée générale suggère que le taux de change d’équilibre doit à la fois garantir l’égalité entre la balance courante et les flux de capitaux sous-jacents et assurer que le niveau atteint par la balance courante, correspondent à son niveau « soutenable », ou désiré. Le concept de soutenabilité de la balance courante relève en grande partie d’une analyse normative, qui à première vue, ne trouve pas d’explication ou d’illustration concrète. Selon Williamson, une balance courante soutenable, dans le sens où elle est financée par des flux de capitaux à long terme. Le caractère très normatif de la théorie de Williamson se heurte donc aux faits stylisés, qui ont largement démontré qu’une dette externe de long terme non stationnaire n’est pas souhaitable.
Alors, en 1997, Macdonald élabore le modèle BEER « Behavioural Equilibrium Exchange Rate » est une approche positive du taux de change d’équilibre, en réponse au caractère trop normatif du travail de Williamson. Basé principalement sur la condition d’équilibre financier donnée par la Parité des Taux d’intérêt Non Couverte (PTINC), Macdonald considère que le taux de change réel dépend des anticipations de change des agents économiques, qui dépendent elles-mêmes des fondamentaux macroéconomiques, et du différentiel des taux d’intérêt réels (comme le veut la logique de la PTINC). Ainsi, si à long terme la PTINC se vérifie, alors le taux de change d’équilibre ne dépend plus que des anticipations de change, donc, de la position nette extérieure, en pourcentage du PIB (représentant l’équilibre entre épargne et investissement), le ratio des productivités relatives témoignant de l’effet Balassa-Samuelson, et enfin les termes de l’échange, soient les trois fondamentaux du taux de change selon Macdonald. L’effet Balassa Samuelson dans sa définition la plus réduite et simplifiée, peut s’expliquer de la manière suivante : Si un pays en développement s’intègre progressivement dans le commerce international, alors il verra la productivité relative de la production des biens exportables, par rapport aux biens non échangés, augmenter plus vite que celle de ses pays partenaires. De fait, les prix des biens échangeables vont baisser beaucoup plus vite que les prix des biens non échangés, ce qui a pour conséquence d’entraîner une appréciation réelle de la monnaie.
Néanmoins, de nombreuses limites apparaissent : d’une part la parité des taux d’intérêt est plutôt mal vérifiée dans les faits stylisés, car l’influence des primes de risque dans la formation des taux est aujourd’hui indéniable, si bien que certains auteurs ont décidé de l’intégrer dans l’explication de la formation du taux de change. En outre, l’hypothèse forte des anticipations rationnelles reste un pilier très fragile de cette modélisation, et elle est de plus en plus contestée du fait d’absence d’une spécification précise de ce qui compose les « anticipations du taux de change ».
Enfin, la dernière limite réside dans le fait que le modèle BEER ne fait aucune distinction dans les horizons temporels, mêlant des fondamentaux de court, moyen et long terme. Un équilibre de long terme ne peut donc pas être spécifié de manière rigoureuse.
Stein propose alors un modèle plus complet, en s’appuyant sur les limites des modèles précédents qui confrontés aux faits stylisés ou aux réalités des outils économétriques et des moyens disponibles ont montré une efficacité encore limitée. Ainsi, Stein avait pour défi de proposer un modèle, qui distingue un équilibre pour chaque horizon temporel, qui puisse se prêter à une estimation économétrique rigoureuse, basée sur des équations structurelles solides, intégrant dans l’analyse une approche dynamique avec le passage d’un état stationnaire à un autre.

Conclusions sur le premier volet

Ainsi face à la multitude des modèles explicatifs de la formation des taux de change réels, il parait contre-intuitif de se fier aux estimations données à la sous évaluation de la monnaie chinoise, sans au moins en connaître le modèle théorique sous jacent. En effet, il semble évident que ces modèles donneront lieu à des estimations différentes de la valeur d'équilibre, qui conditionneront pour ainsi dire, l'évaluation de la sous évaluation monétaire du Renminbi chinois.
En effectuant une analyse plus approfondie du modèle Natrex de Stein, il est rapidement mis en évidence, qu'en plus d'une amélioration apportée aux modèles généraux de ses prédécesseurs, Stein va concevoir des versions différentes de son modèle adaptées aux différents types d'économies: économies émergentes ou économies de petite taille, n'ayant aucune influence sur les prix mondiaux. Il sera donc d'autant plus intéressant d'évaluer la sous évaluation chinoise à la lumière de ce modèle qui met à disposition des outils d'analyse adaptés aux caractéristiques économiques de la Chine.

Références bibliographiques

BOUVERET, A. et H. STERDYNIAK (2005), «Les modèles de taux de change: Equilibre de long terme, dynamique et hystérèse », Revue de l’OFCE, avril.
CLARK, P. and R. MACDONALD, (1999), “Exchange Rates and Economic Fundamentals: A Methodological Comparison of BEERs and FEERs”, in R. Mac Donald and J. L. Stein (ed. (1999), Equilibrium Exchange Rates, Kluwer Academic.
HINKLE L. E. and P. J. MONTIEL ed. (1999), Exchange rate misalignment, Concepts and measurement for developing countries, A World Bank Research Publication, Oxford University Press.
MACDONALD R. (1997), “What Determines Real Exchange Rates? The Long and Short of It”, Journal of International Financial Markets, 8, pp. 117-153.
MACDONALD, R. (2000), Concepts to Calculate Equilibrium Exchange Rates: An Overview, Discussion paper 3/00, Economic Research Group of the Deutsche Bundesbank.
STEIN, J.L. (1990), “The Real Exchange Rate”, Journal of Banking and Finance, 14, Special issue, pp. 1045-1078.
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STEIN, J.L and P. R. ALLEN eds. (1995), Fundamental Determinants of Exchange Rates, Clarendon Press, Oxford.
STEIN, J.L and G.C. LIM (1995), “The Dynamics of the Real Exchange Rate and Current Account in a Small Open Economy: Australia”, in Fundamental Determination of Exchange Rates, J.L. Stein and P.R. Allen (eds.), Clarendon press, Oxford
WILLIAMSON, J. (1994), “Estimates of FEERs”, in Estimating Equilibrium Exchanges Rates ed. Institute for International Economics, Washington.

1 commentaire:

  1. Je vous promets la suite dans les jours qui viennent...Il est tant que je me tienne à deux publications par mois, plutôt qu'une tous les deux mois ;-)

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