La question des inégalités de développement est sujette à de nombreuses théories et controverses concernant les sources de ces divergences économiques de part le monde.
Il est vrai que de nombreux facteurs, souvent en interaction, entrent en compte et viennent accentuer les inégalités internationales de revenu et de développement économique et social.
Géographie, commerce et institutions
Traditionnellement, la situation et les caractéristiques géographiques font parties des facteurs explicatifs avancés dans la littérature de l’économie du développement.
De manière relativement évidente, la géographie d’un pays impacte son niveau de développement, à travers la productivité agricole, les catastrophes naturelles récurrentes et les conditions plus ou moins propices à l’efficacité des facteurs de production et de la structure institutionnelle. Néanmoins la littérature s’est peu à peu enrichie en élaborant des théories autour de nouveaux déterminants à la croissance économique tels que, l’intégration au Commerce International et le rôle des institutions politiques, économiques et sociales. En effet, au regard de l’hétérogénéité des pays en développement et des pays les moins avancés, la géographie des territoires ne peut être la seule explication au sous-développement. Ainsi, de manière plus générale on distingue trois déterminants fondamentaux aux inégalités de développement ; la géographie, l’intégration commerciale et la qualité des institutions. La question est à présent de connaître dans quelle proportion chacun des facteurs agit, dans quelle mesure l’un dominera les autres en terme d’influence sur les revenus, pour permettre l’élaboration de politiques de lutte contre les inégalités plus efficaces.
Causalité et autres problèmes rencontrés
En effet, il s’agit de distinguer dans quelle proportion l’intégration au commerce est cruciale pour un pays afin d’analyser l’efficacité potentielle d’une amélioration de l’accès aux marchés des pays développés par des politiques commerciales moins protectionnistes ; ou encore de distinguer l’apport de la qualité des institutions dans les performances économiques d’un pays afin d’en dégager un diagnostic rigoureux sur la nécessité de développer un cadre institutionnel de manière préalable. C’est d’ailleurs le but central du travail de Dani Rodrick, Arvind Subramanian et Francesco Trebbi qui est présenté ici. Pour cela, il est indispensable de s’assurer de l’exogénéité des déterminants du revenu national, dans une perspective internationale, autrement dit, les facteurs explicatifs ne devraient pas s’influencer mutuellement (« causalité inversée ») et ne pas dépendre d’autres facteurs. Or, il est évident que cela n’est pas le cas, puisque il est bien démontré, dans la littérature, que si les trois déterminants impactent très certainement la formation du revenu national, des relations de colinéarité et de causalité inversée s’établissent entre les trois variables, comme l’illustre l’influence évidente de la géographie dans l’intégration au Commerce par le biais des distances géographiques (partenaires « naturels »), l’impact de la qualité institutionnelle sur l’intégration commerciale et réciproquement. Il est relativement intuitif de penser que lorsque les frontières d’un pays sont ouvertes au monde, les institutions économiques et juridiques connaîtront une mutation conséquente en termes de protection des acteurs économiques, par le biais du respect de la propriété privée par exemple. Voici, un graphique élaboré et présenté par Rodrick, Subramanian et Trebbi qui illustre bien les différentes relations entre les variables du modèle et la complexité des relations de causalité inversée qui vont complexifier le travail empirique d’estimation de chaque vecteur d’influence.
Par conséquent la tâche, a priori simple , de distinction des effets à la fois individuels et croisés de chaque déterminant est largement compliquée par les relations de multi colinéarité, les interconnections et l’endogénéité des variables qui en émane.
Par conséquent la tâche, a priori simple , de distinction des effets à la fois individuels et croisés de chaque déterminant est largement compliquée par les relations de multi colinéarité, les interconnections et l’endogénéité des variables qui en émane.
Rodrick, Subramanian et Trebbi
Pour faciliter cette tâche et surtout démontrer lequel des facteurs est prédominant dans la détermination des divergences internationales de revenu, Dani Rodrick, Arvind Subramanian et Francesco Trebbi ont élaboré un traitement économétrique en décomposant la relation initiale qui relie le niveau de revenu à ses trois fondamentaux, en isolant les deux variables endogènes du modèle qui sont l’intégration et les institutions. La relation initiale s’écrit :
Y= μ +α Inst+ β Int + γ Geo + ε (1)
avec Y le revenu National, Inst les institutions, Int l’intégration au commerce Geo, une mesure de la Géographie Pour exprimer les deux variables endogènes « Inst » et « Int », les auteurs, en utilisant des variables élaborées dans les travaux précurseurs, ont établi deux relations économétriques :
Int= a + σ. const + τ. SM + ω Geo + ε (2)
Inst=λ + δ. SM +ф const + Ψ Geo + ε (3)
L’équation (2) exprime l’intégration d’un pays en fonction de la géographie “Geo”, d’un indice de qualité institutionnelle « SM » ou « settler Mortality », établit par Acemoglu, Johnson et Robinson, une constante et le terme d’erreur ε.
L’équation (3) exprime la qualité institutionnelle, en fonction de cet indice SM, la géographie, une constante et le terme d’erreur ε.
Les travaux précurseurs avaient permis de démontrer la pertinence des indicateurs utilisés dans ces modèles pour approximer les notions clés de géographie, intégration et qualité institutionnelle.
Réalisons un rapide point sur deux des variables utilisées:
- la variable Geo (exogène) : on cite le plus souvent les travaux de Frankel et Romer 1999, concernant la mise en évidence du rôle primordial de la géographie sur l’intégration, puis sur la croissance, à travers l’élaboration d’une équation gravitaire. Un modèle gravitaire s’inspire directement de la loi physique de gravité, en supposant que l’intégration commerciale, approximée par le volume des échanges commerciaux dépend de la masse du pays et de la distance qui le sépare de ses partenaires.
- la qualité institutionnelle est ici approximée par un indicateur appelé « settler mortality » ou SM, qui littéralement signifie Mortalité du colonisateur. Ce concept théorique provient de l’analyse d’Acemoglu, Johnson et Robinson qui utilisent une variable explicative originale pour expliquer les différences de qualité institutionnelle, intrinsèquement liée au risque d’expropriation des colons européens. Ainsi, le « taux de mortalité » ou plus simplement l’engagement dans le temps, des colons sur le territoire (distinction entre colonisation de peuplement ou d’extraction des ressources naturelles) a un pouvoir explicatif fort sur la qualité des institutions mises en place dès lors et qui influencent encore aujourd’hui la qualité institutionnelle des pays anciennement colonisés. Ainsi, grâce à l’analyse d’Acemoglu et l’établissement d’un indicateur de la qualité institutionnelle relativement « exogène », dans le sens où la mortalité des colons n’impacte pas directement les revenus du pays colonisé. Taux de mortalité des colons→ type d’institutions coloniales→ qualité institutionnelle aujourd’hui→ intégration au commerce ; puis dans une deuxième étape économétrique intégration au commerce→ niveau de revenu.
Cette première étape, consistant à estimer économétriquement les variables intégration (2) et institutions (3) permettent aux auteurs d’avoir toute l’information concernant les liens de causalité, parmi les déterminants eux-mêmes. Il est ainsi possible d’intégrer dans la première relation (1) les valeurs des variables Inst et Int, non plus observées, mais estimées à partir des coefficients générés par la régression des équations (2) et (3). La différence entre la variable observée et la variable estimée est attribuable aux résidus générés par la spécification du modèle.
Le problème d’endogénéité est ainsi annulé et il est possible d’analyser de manière rigoureuse et non biaisée l’influence de chacune des variables explicatives : géographie, intégration et institutions. D’après les résultats économétriques des auteurs, il est mis en évidence de manière très significative, que les institutions ont un rôle primordial et même prédominant dans l’explication des niveaux de revenus nationaux, et donc dans l’explication des divergences de développement dans le monde. La géographie et l’intégration au commerce ont un pouvoir explicatif direct très limité sur la croissance. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’elles ont, au préalable, fortement influencé la construction de la qualité institutionnelle du pays.
En guise de conclusion
Il est évident qu’au regard de la littérature sur le sujet, les résultats peuvent différer selon les auteurs. Par exemple, Hall et Jones en 1999 et Dollar et Kraay en 2002 n’arrivent pas aux mêmes conclusions, dans le sens où seuls les effets joints de l’intégration et des institutions ont été distingués par les auteurs. Il faut également noter que le choix des variables a un impact non négligeable sur les résultats. En effet de nombreux auteurs ont remplacé l’indice « settler mortality » d’Acemoglu, Johnson et Robinson basé sur le risque d’expropriation des colons, par des indices plus récents et moins théoriques tels que la fraction de la population parlant l’anglais ou une langue européenne, comme influence majeure de la qualité institutionnelle du pays. Il est donc évident que les résultats d’une telle étude sur un domaine aussi complexe et hétérogène que l’environnement institutionnel, seront très sensibles aux choix faits par les estimateurs. Néanmoins, au regard de l’étude de Rodrick, Subramanian et Trebbi, on mesure le potentiel de ce domaine d’analyse qui met le rôle des institutions au cœur des problèmes économiques et rendent l’analyse des inégalités de développement mondial particulièrement concrète, dans le cadre d’un partage des responsabilités, entre insuffisance des institutions nationales dans la mise en œuvre d’un environnement propice à la croissance et inefficacité des institutions internationales dans l’intégration des pays en développement qui souffrent parfois d’un mauvais accès au marché.
Super et bienvenu! Sur ce blog je m'éclate à rajouter de la bio, chacun son truc...
RépondreSupprimer"les institutions ont un rôle primordial et même prédominant dans l’explication des niveaux de revenus nationaux"
j'aime cette conclusion, mais alors que penser de l'étude d'Aghion, Alésina et Trebbi(2007): "We provide evidence that political rights are conducive to growth in more advanced sectors of an economy, while they do not matter or have a negative effect on growth in sectors far away from the technological frontier".
Et puis
"l’intégration au commerce a un pouvoir explicatif direct très limité sur la croissance" Rigobon et Rodrik (2005, Eco of transition) nous en disent plus: 'Openness (trade/GDP) has a negative impact on income levels and democracy, but a positive effect on rule of law'
Ne me demandez pas ce qu'ils entendent par là, je n'ai lu que l'abstract!
Voilà pourquoi j'avais dit que ma fréquence de fréquentation de ce blog va sensiblement augmenté, chaque jour j'y jette un coup d'oeil, à cause de présentation comme celle-ci.
RépondreSupprimerPlus sérieusement, le premier et le dernier articles de la bibliographie apparaissent dans un papier que je suis entrain d'écrire...Je reviendrai surtout sur le premier article, dès que je finis parce qu'il discute de ce que j'appelle "intuition AJR".
A Arthur, la réponse est simple: "Il faut également noter que le choix des variables a un impact non négligeable sur les résultats." Les auteurs de ce blog sont clairs...
SVP l'article sur le PIB et aux origines du PIB, veuillez les catégoriser comme Economie du développement. Merci d'accepter ma suggestion
RépondreSupprimerArthur nous te sommes reconnaissant pour les refs, le lecteur trouve ainsi un petit plus dans les commentaires. Merci MacroPED pour ta suggestion, l'article sur le PIB ne traite pas à proprement parler d'éco du dév (même si c'est vrai que le revenu équivalent peut servir pour l'éco du dev) je laisse donc tel quel. Pour l'article sur "Aux origines du sous dev en Afrique ..." tu as tout à fait raison, je rajoute cette étiquette.
RépondreSupprimerMerci à tous pour vos remarques pleines d'encouragement! Arthur, merci pour ces références, elles sont notées et vont me permettre d'étoffer encore mes lectures. L'étude d'Aghion, Alesina et Trebbi m'intéresse particulièrement. Je me ferai un devoir de le résumer sur le blog si cela peut représenter un complément à l'étude résumée plus haut.
RépondreSupprimerMerci à vous tous. C'est positif
RépondreSupprimerFélicitations aux rédacteurs pour cet article (en attendant de découvrir les autres articles du blog).
RépondreSupprimerJ'ai cependant une remarque, n'étant pas spécialiste du secteur: je souhaiterais connaître quels indicateurs concrets (et quels objectifs liés à ces mêmes indicateurs) peuvent être utilisés pour évaluer les performances qualitatives des institutions. De plus, je souhaiterais connaître les personnes ou les organismes (indépendants?) qui analysent ces indicateurs.
Merci pour ces commentaires positifs.
RépondreSupprimerIl existe différents indicateurs qui permettent d'avoir une mesure de la qualité institutionnelle d'un pays:
L'indicateur global de gouvernance de Kaufman, Kraay et Zoido-Lobaton élaboré en 1999, dans le cadre d'un programme de la Banque Mondiale:
Selon ses concepteurs, la qualité institutionnelle d'un pays dépend de six piliers majeurs qui sont:
- le caractère démocratique des institutions politiques (nb de partis, élections universelles...)
- l'instabilité politique (changements de gouvernement, conflits politiques ou encore renversement du pouvoir en place)
- l'efficacité des pouvoirs publics
- le poids des règlementations
- la primauté du droit (respect du droit à la propriété privée par exemple)
- la lutte contre la corruption
D'autres indicateurs existent tels que les indices (« index de perception de la corruption ») de Transparency International, organisme indépendant de lutte contre la corruption; ou encore l' « Index of Economic Freedom » élaboré par l'Heritage Foundation et le Journal de Wall street qui couvre des données relevant de la liberté individuelle, de la liberté économique (de créer une entreprise et commercer à l'échelle internationale), mais aussi du respect des droits de propriété, du droit du travail et de la lutte contre la corruption.
La liste est loin d’être exhaustive.
D’autres études originales ont été faites : les travaux d’Acemoglu sur la question sont particulièrement intéressants puisqu’ils mesurent la qualité institutionnelle des pays anciennement colonisés par le degré d’engagement des colons sur le territoire durant la colonisation. C'est particulièrement bien vérifié dans les faits
Chaque indicateur a ses faiblesses mais a le mérite d'être établi par des organismes indépendants de lutte pour le Développement ou par les institutions internationales comme la Banque Mondiale et FMI.
Il est d'ailleurs vrai que les classements établis grâce à ces indicateurs ont souvent permis de faire pression sur certains gouvernements, obligés d'inscrire la lutte contre la corruption dans leurs objectifs.
Soit dit en passant, pour ceux qui sont intéressés par cette problématique, je publierai dans quelques temps un post sur la question des indicateurs institutionnels de manière à décrire quelles sont leur portée et leurs limites notamment dans le cadre d'une analyse de l'implication des institutions dans l'intégration commerciale des PED.
RépondreSupprimerDe passage sur ce blog, j'en apprends beaucoup sur un sujet qui me passionne. Bon courage.
RépondreSupprimerMerci bcp, c'est très motivant...
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