30 juin 2009

Corruption et commerce


Les revenus tarifaires représentent une part importante des recettes fiscales dans les pays en voies de développement (20% contre 1% pour les pays riches) et cette dépendance fiscale explique en partie le comportement hautement protectionniste de ces pays. Bouët et Roy (noté BR par la suite) nous rappelle ce fait en calculant les droits de douane moyens pour trois pays africains et observent le classement suivant : Nigéria (droit de douane moyen de 26%) > Mauritanie (18%) > Kenya (16%). Fait plus intriguant en utilisant un indicateur de perception de la corruption les auteurs observent un classement similaire…
 les pays qui taxent le plus seraient-il les plus corrompus ? Sur le plan théorique on sait qu’une taxe importante est une incitation pour les exportateurs à la corruption des services douaniers, ces derniers y cèdent suivant leur niveau de rémunération, leur aversion au risque et suivant les modalités de sanction contre le corrompu appliquées par l’Etat importateur (Allingham et Sandmo (1972)). Mais qu’en est-il dans les faits ?
BR mettent alors en œuvre une méthodologie que nous allons décrire pour tester ce lien entre tarif élevé et évasion tarifaire. La première estimation en valeur des auteurs est la suivante :

Evasion fiscale et tarifs, la méthodologie de l’étude de Bouët et Roy

Où EvValueiptc représente une mesure de l’évasion, soit la différence entre la valeur d’un produit p (niveau HS6) à la date t indiquée par un exportateur c et la valeur de ce même produit reportée par l’importateur. En d’autres termes l’idée intéressante est de considérer les flux indiqués par l’exportateur et non reporté par l’importateur comme étant détournés. La variable Tariffptc représente la taxe imposée à l’exportateur. Mais l’évasion peut aussi se manifester par une mauvaise spécification, le produit importé étant déclaré sous une autre ligne tarifaire pour bénéficier d’un taux plus faible. Exemple fictif : un produit A est taxé à 50% alors qu’un produit différencié B est taxé à 10%, si vous êtes un exportateur de A vous avez tout intérêt à corrompre le douanier pour qu’il inscrive votre exportation comme étant une entrée de B. Pour appréhender ceci les auteurs calculent une moyenne pondérée par les exportations des autres produits à un niveau plus agrégé (au niveau HS4), dénommées tariffrelptc. Enfin d est une dummy qui prend la valeur 1 lorsque le produit est différencié et l’interaction tariffptc*d teste si un produit différencié et fortement taxé a plus de chance d’expliquer l’évasion. En effet plus un produit est différencié plus il est difficile de le faire passer pour un autre et plus il taxé plus la corruption est attractive. Les auteurs introduisent ensuite des effets fixes par produits, temps et partenaires.

Résultats


A partir de l’estimation sans effets fixes ils observent que l’évasion est d’autant plus forte que le tarif du produit concerné et celui des produits reliés sont élevés. Contrairement aux études existantes, BR constatent que la différenciation a peu d’effet. Ce résultat provient de la mesure de la protection et de la spécificité des partenaires étudiés par les autres études. En effet Javorcik and Narciso (2008), Mishra et al (2008) et Levin and Widell (2007) utilisent uniquement les taux ad-valorem et étudient un seul partenaire (l’Allemagne pour les premiers, l’Angleterre pour les derniers) En rajoutant les effets fixes les auteurs obtiennent toujours une élasticité tarif de l’évasion positive et observe qu’elle est plus forte pour le Nigéria que pour le Kenya et la Mauritanie (pour ce derniers pays la corrélation entre tarifs et évasion n’est pas toujours significative). Le classement des trois pays suivant cette simple méthodologie est cependant sujet à caution car les partenaires de chaque pays et les produits échangés sont différents, ce qui pousse les auteurs à réduire l’échantillon au même ensemble de produits et de partenaires. Une analyse de robustesse est ensuite réalisée, les auteurs utilisent notamment des variables instrumentales pour limiter les biais d’endogénéité et des régressions non paramétriques et semi-paramétrique pour tester la non linéarité de la relation. Dans tous les cas leurs résultats sont confirmés. Il est intéressant de noter que le coefficient mesurant l’élasticité tarif de l’évasion pour le Nigéria double avec l’introduction des effets fixes sur les produits. Ce résultat, qui diffère de Mishra et al (2008) indique que pour certains pays les caractéristiques des produits jouent un rôle important dans l’explication de l’évasion (en caricaturant les diamants engendreraient plus de corruption que les pois chiches).

En guise de conclusion

L’objectif des pays en voie de développement est de taxer fortement les importations pour faire rentrer des recettes fiscales mais d’après cette étude de BR on peut se demander s’il n’y a pas là une courbe en U-inversé (les économistes adorent les courbes en cloche: exemple courbe de Laffer, courbe de Kuznets et ses dérivés etc) : plus ces pays taxent plus les recettes augmentent, sauf si les taxes sont vraiment prohibitives, dans un tel cas la corruption augmente et les recettes s’effondrent. Je ne connais aucun papier qui ait testé cette relation, pourtant savoir si les pays en voie de développement peuvent gagner plus en taxant moins leurs importations est une question majeure et il fait peu de doute qu’avec l’amélioration des données concernant les pays en voies de développement une telle relation soit testée prochainement. Alors stay tuned, je vous en reparle dès qu’il y a du nouveau.

Bibliographie

- Allingham, Michael G., and Agnar Sandmo, 1972, “Income Tax Evasion: A Theoretical Analysis,” Journal of Public Economics, Vol. 1, pp. 323-38. - Bouët A, Roy D, 2009, Trade protection and tax evasion: evidence from Kenya, Mauritania and Nigeria, CATT Working Papers Series n°1. - Fisman, Raymond and Shang-Jin Wei, 2004, “Tax Rates and Tax Evasion: Evidence from Missing Imports in China,” Journal of Political Economy, No. 112 Vol. 2, pp. 471-496. - Mishra Prachi, Arvind Subramanian and Petia Topalova, 2008, "Policies, Enforcement, and Customs Evasion: Evidence from India” Journal of Public Economics, vol. 92(10-11), p 1907-1925.

9 commentaires:

  1. Anonyme7/03/2009

    Super l'article, dommage que l'on en sache pas plus sur les tests de robustesse, c quoi 'des régressions non paramétriques et semi-paramétrique pour tester la non linéarité de la relation'?
    Max

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  2. Anonyme7/03/2009

    'on peut se demander s’il n’y a pas là une courbe en U-inversé'
    voir Dutta et Traça (http://faculty.insead.edu/dutt/Research/Corruption%20and%20Tariffs.pdf), ils ne testent pas cette relation mais regarde si les flux commerciaux ne sont pas une courbe en U-inversé de la corruption. La méthodologie est intéressante.
    Arthur B

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  3. Les estimations non paramétriques et semi paramétriques sont utilisées lorsque l'on ne sait pas grand chose de la relation qui lie une variable à expliquer de ses variables explicatives. Ces méthodes relativement nouvelles en économie appliquée sont complémentaires des méthodes traditionnelles, elles permettent de discriminer entre plusieurs modèles. Par manque de temps (et oui contrairement à ce que pensent la plupart des gens, les enseignants chercheurs ont pas mal de boulot en cette période estivale) et aussi parce que je connais mal ces méthodes je n'en dirai pas bcp plus aujourd'hui, mais je m'engage à vous écrire un commentaire plus long rapidement (comptez une bonne semaine tout de même).

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  4. Merci Arthur pour cette ref, pour ceux qui voudraient un résumé de ce papier (trés intéressant c'est vrai), il y en a un disponible sur vox: http://www.voxeu.org/index.php?q=node/3693

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  5. Anonyme7/04/2009

    La page de Charpentier est instructive, notamment ce post sur les estimations non paramétriques: http://blogperso.univ-rennes1.fr/arthur.charpentier/index.php/post/2008/09/05/Econometrie-cours-Master-1-regression-nonlineaire-et-nonparametrique.
    Mimi

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  6. Je suis super nul en économétrie pourriez vous nous dire à quoi servent les variables instrumentales et si c pas abuser serait-il possible d’avoir un topo général sur les différentes méthodes d’estimation

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  7. ‘à quoi servent les variables instrumentales’
    lorsque tu as un modèle yi=b0+b1*Xi+ui si tu l’estimes avec les MCO tu considères que les variables explicatives sont exogènes, cad que cov(Xi,ui)=0. Or dans de nombreux cas cette hypothèse ne peut pas être faîtes. Dans tous les cas où cov(Xi,ui) est diff de zéro alors on dit que la variable explicative est endogène. Etudions rapidement ces différents cas :
    1. variable omise
    Imagines, tu testes yi=b0+b1*X1i+ui mais tu as oublié X2 donc tu testes le modèle suivant : yi=b0+b1*X1i+ui avec ui=b2*X2i+vi si par malheur X1 et X2 sont corrélés alors les variables instrumentales te sont fortement conseillées car dans ce cas X1 est aussi corrélé avec ui.
    2. erreurs de mesure dans les variables explicatives
    3. causalité simultanée
    tu testes yi=b0+b1*Xi+ui mais t’as oublié que Xi est aussi une fonction de yi !! Révise tes papiers théoriques et utilise des variables instrumentales si tu ne veux pas qu’au fond de ta salle de séminaire quelqu’un te dise « n’y aurait-il pas un problème d’endogéneité »
    Comment choisir et utiliser ton instrument ?
    Un bon instrument, appelons le z est une variable exogène soit cov(z,u)=0 et évidemment z doit être corrélé à X1 soit cov(Xi,z) diff de zéro.
    Donc tu estimes Xi=c0+c1*z+ui tu obtiens c0 et c1 tu calcules c0+c1*z et tu remplaces Xi par cette estimation dans ton équation initiale (soit yi=b0+b1*Xi+ui).

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  8. J’ai oublié de répondre à ta question sur les différentes méthodes, voir greene chap 17, tu trouveras un cours d’intro à l’économétrie de Lionel Page avec toutes les ref ici : http://team.univ-paris1.fr/teamperso/page/webpage/files/StatVad.pdf

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  9. Cassagnard Patrice7/15/2009

    Bravo Fabien,
    Ce blog risque de très vite devenir incontournable! A bientôt à Pau.

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