Les rendements croissants sont-ils en train de décliner ? L’économie moderne doit-elle revenir sur ses fondements classiques ?
Telles sont les deux questions posées par Paul Krugman dans sa lecture du prix Nobel. Ces questions sont étonnantes pour l’enseignant que je suis, qui débute son cours de micro par la concurrence pure et parfaite et qui poursuit en vantant par comparaison le réalisme de la concurrence imparfaite. Ces questions sont aussi surprenantes pour le chercheur en économie géographique…mais avant de vous en expliquer le pourquoi, peut être est-il utile de revenir très brièvement sur la lecture de Krugman.
L’auteur présente tout d’abord ses travaux, ceux sur l’économie géographique démontrent que dans un modèle avec rendements croissants, la baisse des coûts de transport débouche sur une agglomération des activités. Pour Krugman ce processus d’agglomération semble appartenir au passé, il présente notamment une carte des USA sur l’industrie automobile qui reflète le fait que les nouvelles industries se sont localisées au Sud au lieu de s’agglomérer autour de Détroit.
On aurait tord de penser que cette idée d'une dispersion des activités est nouvelle, Krugman lui-même dans Krugman et Livas (1996) amendait son article de 1991 en montrant que l’agglomération en engendrant une hausse des prix du foncier et des coûts de navette débouchait suite à une intégration commerciale plus approfondie sur une dispersion des activités (voir aussi Candau (2009) dans lequel je montre que ces forces de dispersion urbaines alliées avec une dispersion de la demande débouchent sur une séquence dispersion / agglomération / dispersion lorsque les économies se libéralisent commercialement). Cette séquence a été vérifiée empiriquement par nombre de chercheurs, dont notamment Combes et al. (2008) sur données françaises (le processus d’agglomération aurait eu lieu de 1860 à 1930 et depuis les activités semblent se disperser). Le constat de dispersion n’est donc pas nouveau et ne surprendra personne, c’est l’interprétation qui en est donnée qui est nouvelle, car c'est une remise en cause des rendements croissants :
« So increasing returns may represent the wave of the past, not the future [...]Problems facing workers in advanced economies: 1) Increasing inequality 2) Decline of “good jobs”. To some extent, both may be explained by the decline of increasing returns as a force in the world economy ».
Krugman semble considérer que ce sont les avantages comparatifs qui jouent désormais un rôle important dans la configuration spatiale des pays avancés (pour les pays en voies de développement son modèle Centre-Périphérie lui semble peut-être encore adapté (il fait référence à la Chine)). Cette lecture a suscité une réaction de Marius Brülhart (l’un des premiers à avoir tester empiriquement les prédictions de Krugman) qui défend la pertinence de l’économie géographique Krugmanienne pour les problèmes actuels. D'autres éléments peuvent être avancés pour discuter cette assertion.
Premièrement l’économie des pays développés est une économie qui se tourne de plus en plus vers les services, ces derniers sont souvent différenciés, mais les rendements croissants sont sans doute plus faible dans ces secteurs. Cependant, ceci n'est pas vrai pour tous les services (Google opère a n'en pas douter sous rendement croissants).
Deuxièmement, depuis le théorème d’impossibilité spatiale de Starret on sait que la dispersion des activités peut aussi résulter d’un modèle concurrentiel en l’absence d’avantages comparatifs (espace homogène), et à l’inverse leur présence explique les zones de spécialisation et d’agglomération. En d’autres termes, Krugman nous rappelle qu’il est important de ne pas oublier les premiers résultats de l’économie spatiale qui ont toujours une importance, il nous invite aussi à discriminer entre les différentes théories. Cette intervention m’a fait songer à un élégant article d'Ellickson et Zame (2005) qui présentent le point de vue suivant:
“We think the literature has taken the wrong lesson from Starrett's theorem. Locations are not all the same, and transportation costs are not zero, so the question, in our minds, is not whether a competitive model can have anything interesting to say about a world in which locations are identical and transportation costs are zero, but rather whether a competitive model can have anything interesting to say about a world in which locations are not identical and transportation costs are not zero. Put differently, the question is not whether competition can lead to a heterogeneous present from a homogenous past, but whether competition can lead to the kind of heterogeneity we actually see in the present from the kind of heterogeneity we see (or imagine) in the past.”
En d’autres termes concurrence et avantages technologiques/factoriels (ou diversité des goûts… bref toute hétérogénéité) hérités du passé peuvent expliquer le processus de dispersion actuelle. Aussi c’est avec une certaine impatience que j’attend l’article qui testera si les rendements croissants déclinent (et pourquoi ?), car si une telle prédiction se vérifie ce n’est pas seulement la nouvelle économie géographique qui appartiendra au passé mais une grande partie des théories actelles basées sur ce concept.
Telles sont les deux questions posées par Paul Krugman dans sa lecture du prix Nobel. Ces questions sont étonnantes pour l’enseignant que je suis, qui débute son cours de micro par la concurrence pure et parfaite et qui poursuit en vantant par comparaison le réalisme de la concurrence imparfaite. Ces questions sont aussi surprenantes pour le chercheur en économie géographique…mais avant de vous en expliquer le pourquoi, peut être est-il utile de revenir très brièvement sur la lecture de Krugman.
L’auteur présente tout d’abord ses travaux, ceux sur l’économie géographique démontrent que dans un modèle avec rendements croissants, la baisse des coûts de transport débouche sur une agglomération des activités. Pour Krugman ce processus d’agglomération semble appartenir au passé, il présente notamment une carte des USA sur l’industrie automobile qui reflète le fait que les nouvelles industries se sont localisées au Sud au lieu de s’agglomérer autour de Détroit.
On aurait tord de penser que cette idée d'une dispersion des activités est nouvelle, Krugman lui-même dans Krugman et Livas (1996) amendait son article de 1991 en montrant que l’agglomération en engendrant une hausse des prix du foncier et des coûts de navette débouchait suite à une intégration commerciale plus approfondie sur une dispersion des activités (voir aussi Candau (2009) dans lequel je montre que ces forces de dispersion urbaines alliées avec une dispersion de la demande débouchent sur une séquence dispersion / agglomération / dispersion lorsque les économies se libéralisent commercialement). Cette séquence a été vérifiée empiriquement par nombre de chercheurs, dont notamment Combes et al. (2008) sur données françaises (le processus d’agglomération aurait eu lieu de 1860 à 1930 et depuis les activités semblent se disperser). Le constat de dispersion n’est donc pas nouveau et ne surprendra personne, c’est l’interprétation qui en est donnée qui est nouvelle, car c'est une remise en cause des rendements croissants :
« So increasing returns may represent the wave of the past, not the future [...]Problems facing workers in advanced economies: 1) Increasing inequality 2) Decline of “good jobs”. To some extent, both may be explained by the decline of increasing returns as a force in the world economy ».
Krugman semble considérer que ce sont les avantages comparatifs qui jouent désormais un rôle important dans la configuration spatiale des pays avancés (pour les pays en voies de développement son modèle Centre-Périphérie lui semble peut-être encore adapté (il fait référence à la Chine)). Cette lecture a suscité une réaction de Marius Brülhart (l’un des premiers à avoir tester empiriquement les prédictions de Krugman) qui défend la pertinence de l’économie géographique Krugmanienne pour les problèmes actuels. D'autres éléments peuvent être avancés pour discuter cette assertion.
Premièrement l’économie des pays développés est une économie qui se tourne de plus en plus vers les services, ces derniers sont souvent différenciés, mais les rendements croissants sont sans doute plus faible dans ces secteurs. Cependant, ceci n'est pas vrai pour tous les services (Google opère a n'en pas douter sous rendement croissants).
Deuxièmement, depuis le théorème d’impossibilité spatiale de Starret on sait que la dispersion des activités peut aussi résulter d’un modèle concurrentiel en l’absence d’avantages comparatifs (espace homogène), et à l’inverse leur présence explique les zones de spécialisation et d’agglomération. En d’autres termes, Krugman nous rappelle qu’il est important de ne pas oublier les premiers résultats de l’économie spatiale qui ont toujours une importance, il nous invite aussi à discriminer entre les différentes théories. Cette intervention m’a fait songer à un élégant article d'Ellickson et Zame (2005) qui présentent le point de vue suivant:
“We think the literature has taken the wrong lesson from Starrett's theorem. Locations are not all the same, and transportation costs are not zero, so the question, in our minds, is not whether a competitive model can have anything interesting to say about a world in which locations are identical and transportation costs are zero, but rather whether a competitive model can have anything interesting to say about a world in which locations are not identical and transportation costs are not zero. Put differently, the question is not whether competition can lead to a heterogeneous present from a homogenous past, but whether competition can lead to the kind of heterogeneity we actually see in the present from the kind of heterogeneity we see (or imagine) in the past.”
En d’autres termes concurrence et avantages technologiques/factoriels (ou diversité des goûts… bref toute hétérogénéité) hérités du passé peuvent expliquer le processus de dispersion actuelle. Aussi c’est avec une certaine impatience que j’attend l’article qui testera si les rendements croissants déclinent (et pourquoi ?), car si une telle prédiction se vérifie ce n’est pas seulement la nouvelle économie géographique qui appartiendra au passé mais une grande partie des théories actelles basées sur ce concept.
F. Candau
Biblographie
- Candau, Fabien, Is Agglomeration Desirable? (April 22, 2009). Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=1393183
- Combes, Pierre-Philippe, Miren Lafourcade, Jacques-François Thisse and Jean-Claude Toutain (2008) The Rise and Fall of Spatial Inequalities in France: A Long-Run Perspective. CEPR Discussion Paper #7017.
- Ellickson B. and W. R. Zame, 2005, A competitive model of economic geography, Economic Theory 25, 89-103.
- Krugman, Paul, 1991, Increasing Returns and Economic Geography. Journal of Political Economy, 99(3): 483-499.
Je préfère toujours dire mon identité; l'économie géographique ou la géographie économique ne me connait. C'est pareil pour moi. A part des noms comme Krugman, Walter Issard...dans ce domaine. Ce qui n'est pas le cas pour vous. Poser le problème sous l'angle d'attendre ne m'interpelle: n'y-a-t-il d'ironie? Peut-être que c'est votre voix de rechercher pour les prochaines années que vous étalez modestement aux "yeux de la rue".
RépondreSupprimerReconnaissons que si rendement croissant prend un coup aujourd'hui, ne n'ai trouvé, du moins pour aujourd'hui, le nom pour identifier notre discipline. Elle a été traditionnelle, mais avec le souffle nouveau des années 70 et 80 devenant nouvelle. Tout a pris Nouvelle presque comme un préfixe: nouvelle macroéconomie classique, nouvelle macroéconomie keynésienne, nouvelles théories de la croissance, nouvelle géographie économique...Ah, j'ai mal doigt, je peux plus continuer
Salut MacroPED, je ne suis pas sûr d'avoir tout compris au début de ton mail, il me semble que tu discutes le fait que je pose "le problème sous l'angle d'attendre", en fait mes posts veulent être des questions ouvertes, j'aimerais qu'ils donnent l'envie aux étudiants d'entreprendre des recherches, qu'ils relisent les vieilles et nouvelles théories pour apporter leur nouveauté.
RépondreSupprimerce sera un bon exercice pour les vacances d'été. j'étais justement en train de constituer une liste de lecture...
RépondreSupprimerSuper, merci pour ce post, j'avais raté l'intervention de Krugman...
RépondreSupprimerdd
Peut-on avoir la réf de Brülhart, merci.
RépondreSupprimerdd again
je n'arrive pas à télécharger votre article 'Is Agglomeration Desirable?'...
RépondreSupprimerdd le boulet
Apparemment, vous avez compris bien que des coquilles ou erreurs de frappe ont trahi quelque peu mon idée. La substance existe...
RépondreSupprimerPour moi c'est déjà de la peine perdue, je suis pas très intéressé par l'économie géographique...Mais c'est toujours plaisant de savoir pourquoi tel pays tel endroit, etc. Par ailleurs, au fait, j'ai pensé pendant une minute que c'était une voie de recherche que vous même vous avez envisagée (tester l'hypothèse d'un rendement croissant déclinant)...
A ce jour, je n'ai pas lu sa lecture de Nobel économie. Votre post me donne l'envie d'aller chercher. Alors que moi je passais mon temps à comprendre les effets de rendement croissant en économie du développement, théories de la croissance...L'un des ses fervents défenseurs apportait un élément intéressant.
Merci
si ce sujet vous intéresse, jettez un oeil aux travaux de Fingleton, je n'ai pas encore regardé mais je suis tombé sur un survey de Fred Robert-Nicoud et Kristian Berhens (2009, Papers in regional science) où ils notent ceci: "Bernard Fingleton (2005) runs an empirical horse race between a neoclassical
RépondreSupprimergrowth model and a NEG model to ‘explain’ regional wage variations in the United
Kindom. He finds that the NEG-blended model has superior explanatory power than the
neoclassical model. This vindicates the role of increasing returns to scale and transportation costs in explaining spatial disparities, as emphasized by Krugman’s (1991a) model. In related work, Fingleton (2006) shows that urban economic models, in which transportation costs play no role but congestion costs are all too important, perform even better than the NEG model in
explaining the British regional wage patterns"
Bonjour, je ne suis pas sûr de bien interpréter l'argument de Krugman. Le déclin des rendements d'échelle croissants est-il dû au fait que temporellement plus on vieillit plus les coûts fixes initialement payés sont invisibles ? Ou est ce que ce qu'il dit c'est que dans certains secteurs les coûts fixes (d'installation) à payer sont, de nos jours, plus faibles impliquant des rendements plus faibles ?
RépondreSupprimerEn vous remerciant pour votre réponse
Krugman ne discute hélas pas des origines micro d'une diminution des rendements croissants, mais simplement d'indice macro (dispersion des activités, inégalités) qui pourraient laisser penser que ceux ci ont une moindre importance. Votre premier argument (question) ne me semble pas valide dans la mesure ou de nlles firmes s'installent à l'instant même où nous discutons et ont donc à payer des coûts fixes qui sont loin d'être "invisible" sur le court terme. Je ne pense pas non plus que les coûts fixes d'installation diminuent, mais dans sa lecture du nobel² le modèle que Krugman présente débouche sur de la dispersion lorsque coûts fixes et industrialisation sont faibles ce qui plaide pour votre second argument.
RépondreSupprimer²dans ses articles les coûts fixes n'impactent pas sur les choix de localisation.