06 juin 2009

Aux origines du sous développement en Afrique, le commerce d'esclave


Comment expliquer la richesse ou la pauvreté des nations ? Cette question est au cœur de l’analyse économique et le débat oppose souvent des facteurs géographiques et institutionnels. Lorsque les terres sont enclavées, rocailleuses où pentues la production est plus difficile et le commerce plus coûteux ce qui freine l’exploitation d’avantage comparatif et les gains de productivité qui peuvent en résulter. En appui à ces causes premières d’un développement difficile, certains auteurs ont mis en avant des causes de seconde nature. A titre d’exemple, les terres enclavées en limitant le commerce limite les échanges technologiques et si le marché intérieur est petit ou dispersé alors aucune incitation à l’agglomération et aux économies qui en résultent (économie d’échelle, diffusion des idées) n’est possible. Lorsque le climat est favorable à la prolifération de certaines maladies alors l’espérance de vie et la productivité sont amoindries et le développement économique s’en trouve altéré (pour une étude sur le poids économique et social de la malaria voir Sachs et Malaney (2002)). Opposés à la primauté de ces éléments dans l’explication du sous développement, des auteurs tels que Easterly (2006) considère que les difficultés de croissance sont d’abord liées à la mauvaise gouvernance des pays (corruption, politique économique inappropriée) et aux défaillances des institutions dont les causes sont souvent à rechercher dans l’histoire des nations.
 La géographie pourrait alors avoir un rôle, mais un rôle indirect. Ainsi selon Acemoglu Johnson et Robinson (2001) un environnement défavorable entraînant une mortalité plus forte des européens dans leur colonie aurait découragé leur installation sur longue période ainsi que la mise en place d’institution de qualité. Trancher entre institution et géographie semble avoir une importance particulière dans la mesure où les remèdes préconisés peuvent être différents. Ainsi Sachs (2005) considère que l’aide au développement peut pallier le désavantage géographique alors qu’Easterly (2006 a, b et 2007) considère au contraire ces aides comme potentiellement inefficaces voire néfastes. Je n’aborderai pas aujourd’hui les aides au développement (promis je le ferai un autre jour) mais je souhaiterai souligner le poids de l’histoire dans la destiné des nations. Commençons par l’article de Nunn (2006) qui traite du commerce d’esclave et des difficultés de développement du continent africain. L’auteur nous rappelle que pendant 500 ans, de 1400 à 1900 l’Afrique n’a pas vu sa population évoluées en raison du commerce d’esclave, en effet près de 20 millions d’africains (sur une population qui en comptait au maximum 70 millions) ont ainsi été exportés via l’Atlantique, le Sahara, la mer rouge et l’Océan Indien et à peu près autant sont morts dans les transports et les rafles. Nunn (2006) observe ainsi une relation négative entre le nombre d’esclave exporté par le passé et la croissance actuelle des pays africains. Ce commerce aurait en effet exacerbé la fragmentation politique et affaiblit les institutions traditionnelles (les rapts étant opérés par une ethnie contre une autre, voire même au sein d’une même ethnie). Les conséquences du commerce d’esclave sur les difficultés actuelles de croissance économique feront l’objet de ce blogage dévoué à l’article de Nunn et Puga (2007). Ces auteurs montrent qu’une géographie accidentée engendre un effet négatif, elle hausse les coûts de production et de transport, mais cette géographie a aussi permis aux habitants d’échapper à l’esclavage, Bah (1976) montre en effet que les cavernes et les falaises servaient de refuge au sud-est du Sénégal et Brasseur (1968) détaille comment au Mali les terrains montagneux permettaient aux Dogons, de protéger leur territoire. Une géographie désavantageuse aurait ainsi eu un impact positif qui se ressent encore aujourd’hui et domine même l’effet négatif !

Effet positif d'un désavantage géographique

Rentrons brièvement dans le détail de l’article, les auteurs testent tout d’abord les équations suivantes :
où yi est le revenu par tête, r la variable géographique (r pour ruggedness) et I une dummy qui prend la valeur 1 pour les pays Africains et 0 pour les autres. L’idée étant que pour les pays africains un terrain accidenté peut avoir un effet bénéfique alors que pour les autres pays (qui n’ont pas connu l’esclavage) seul l’effet négatif lié notamment aux coûts de transports domine. Dans la seconde équation les pays ne sont pas différenciés ce qui permet aux auteurs de tester les trois hypothèses suivantes : 1) si béta1 est négatif une géographie accidenté a un impact négatif sur le revenu 2) si béta2 est positif alors en Afrique une géographie accidentée a un impact positif 3) si béta1 est inférieur à béta5 alors ne pas prendre en compte la spécificité historique africaine biaise l’impact négatif de la géographie vers zéro. Ces trois hypothèses sont vérifiées. Les auteurs testent ensuite l’équation suivante :
où xi mesure les exportations passées d’esclave. L’objectif étant d’analyser si 1) ces exportations affectent négativement le revenu, dans un tel cas béta10 devrait être négatif 2) l’effet d’une géographie accidentée n’est pas différent en Afrique lorsque ces exportations sont prises en compte, en d’autres termes l’esclavage explique totalement que des terrains accidentés puissent avoir eu un impact indirect positif en Afrique puisqu’ils ont permis de se cacher ou de se protéger contre ce commerce, dans un tel cas béta8 est égal à zéro 3) les effets d’une géographie accidentée sont négatifs lorsque ces exportations sont prises en compte, dans un tel cas béta7 est négatif. Ces trois hypothèses sont vérifiées par les auteurs.

Robustesse des résultats

Les estimations précédentes peuvent cependant souffrir d’un manque de variable qui biaise l’analyse. Si par exemple des sols accidentés sont des sols riches en diamants et si la production de diamants enrichit des pays à l’extérieur de l’Afrique mais appauvrit les africains en raison de mauvaises institutions alors l’estimateur géographique peut être biaisé. Les auteurs prennent ainsi en compte la production de diamants entre 1994 et 2000, et leur résultat est robuste à cette introduction. De plus ils introduisent d’autres variables de contrôle telles que le climat, l’accès à la mer et la qualité des sols sans dévier de leur conclusion principale. Puga et Nunn (2008) vérifient aussi que leurs estimations ne sont pas guidées par des pays atypiques (les îles, les pays très accidentés ou très peu accidentés), puis supprime systématiquement toutes les observations pour lesquelles les coefficients estimés pour la géographie sont supérieurs à un certain seuil (2 sur la racine carré du nombre d’observations (méthode de Belsley, Kuh, and Welsch (1980)). Il est aussi intéressant de noter que pour tester la robustesse de ces résultats il suffit d’inverser le raisonnement et de vérifier qu’une géographie accidentée n’a pas d’effet positif dans des pays qui n’ont pas connus l’esclavage. Les auteurs testent alors si cet effet positif existe pour l’Europe, l’Océanie, l’Amérique du nord et celle du sud. Ils constatent alors que seul l’effet négatif existe pour ces continents à l’exception de l’Europe à laquelle il faut retrancher la Suisse pour effacer l’effet positif de la géographie (les auteurs n’explique pas pourquoi la Suisse biaise ainsi les résultats et perso je n’ai pas d’idée pouvant l’expliquer. Si vous avez une explication je suis preneur).

Agglomération cumulative dans les zones à géographie désavantageuse

Si les auteurs montre qu’une géographie accidentée a des effets indirects positifs, ils montrent aussi que les coûts ne sont pas absents, l’agglomération initiée par le choc historique s’auto entretient, la population s’agglomérant aujourd’hui encore dans les terres les plus accidentés.

Conclusion

En conclusion les auteurs nous mettent en garde, leurs résultats sont spécifiques, ils ne prouvent pas que les désavantages géographiques ont toujours un impact positif dominant. Alors bossez vos manuels d’histoire et regardez si un choc historique différent de l’esclavage et dans d’autres pays tel que la Chine ou l’Inde ne pourrait pas être un terrain d’étude intéressant.

Bibliographie

- Acemoglu, Daron, Simon Johnson, and James A. Robinson. 2001. The colonial origins of comparative development: An empirical investigation. American Economic Review 91(5):1369–1401.
- Easterly,William. 2006a. The White Man’s Burden: Why the West’s Efforts to Aid the Rest Have Done so Much Ill and so Little Good. New York, ny: Penguin Press.
- Easterly,William. 2006b. Reliving the 1950s: The big push, poverty traps, and takeoffs in economic development. Journal of Economic Growth 11(4):289–318.
- Easterly, William. 2007. Was development assistance a mistake? American Economic Review Papers and Proceedings 97(2):forthcoming.
- Nunn, Nathan. 2006. The longterm effects of Africa’s slave trades. The Quarterly Journal of Economics, MIT Press, vol. 123(1), pages 139-176, 02.
- Puga Diego, Nunn Nathan. 2007. Ruggedness: The Blessing of Bad Geography in Africa (soumis à Review of Economic Studies.
- Sachs, Jeffrey. 2005. The End of Poverty. New York, ny: Penguin Press.
- Sachs, Jeffrey and Pia Malaney. 2002. The economic and social burden of malaria. Nature 415(6872):680–685.

6 commentaires:

  1. Bonjour,

    J'ai réalisé un portail sur les blogs d'économie : http://cafe-eco.biologie-france.com
    Et je voulais savoir si vous seriez interressé de participer à ce site ?

    Cordialement

    Sébastien

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  2. Anonyme6/12/2009

    "puis supprime systématiquement toutes les observations pour lesquelles les coefficients estimés pour la géographie sont supérieurs à un certain seuil (2 sur la racine carré du nombre d’observations (méthode de Belsley, Kuh, and Welsch (1980))"
    Même si je veux bien croire qu'il y a une raison scientifique à cette supression (j'ai pas encore lu Belsley et al. 1980 mais j'imagine que c'est toujours l'idée de supprimer les point abérants qui rendent pas trés "gaussiens" les résidus) j'ai tjrs l'impression que ce genre de supression de données, pourtant observer, influe plus q'un peu sur le résultat...bref c'est de l'économétrie quoi.
    Imaginons un économiste qui étudierait l'évolution des cours boursiers et qui supprimerait les variations trop importantes et ben soyons en certain c'est pas demain qu'il prédiera les crise financières...bon c'était juste une remarque en passant

    Bon sinon bravo super article Mr Candau le format d'un article plus fourni qu'un billet de blog classique et moins lourd qu'un article de recherche c'est parfait...

    Cordialement

    Un Breton du 6.5 ;-)

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  3. Anonyme6/12/2009

    Bon cela dit j'avais pas vu que c'était dans la partie test de robustesse...autant pour moi

    tjrs le breton du 6.5

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  4. Quel plaisir de recevoir LE breton du 6.5! Merci pour les commentaires :-).

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  5. Anonyme7/13/2009

    Bonjour,
    Je vous félicite pour votre blog.J'ai cité votre article sur mon (modeste) blog d'économie (http://dedalus.blogsudouest.com/)
    Un docteur en économie internationale.
    D.

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  6. Anonyme8/05/2009

    Intéressant, merci!

    Cependant vous n'abordez pas le problème de l'Afro-pessimisme, véritable frein au développement africain, comme le démontre cette analyse;

    http://www.unmondelibre.org/Martin_developpement_incitations_030809

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