29 avril 2009

Commerce Nord-Sud et spécialisation verticale

Ce matin sur BFM : « Aujourd’hui on pourrait dire à nos enfants : ‘fini tes études sinon les chinois te prendront ton job’ » Cette peur est-elle fondée? Pour éclairer notre lanterne nous allons bloguer sur l’étude de Fontagné, Gaulier et Zignago (FGZ pour faire court) intitulée Specialization across varieties and North-South competition publiée en 2008 dans Economic Policy 23(53) : 51-91.
L'analyse de ces auteurs dépasse le simple exemple chinois via une investigation basée sur BACI et axée sur les spécialisations des nations du Sud et du Nord sur la période 1995-2004.
Un commerce de variétés différentes démasqué
FGZ calculent tout d’abord un indice de similarité des exportations sur trois niveaux d’aggrégation différents. Au niveau des secteurs tout d’abord, les similarités sont relativement forte ce qui tendrait à confirmer la thèse suivant laquelle les pays du Nord et du Sud sont en concurrence. Mais l’antithèse émerge dès que les auteurs travaillent sur des données plus désagrégées, en effet la similarité devient bien moins importante au niveau des produits et devient carrément faible au niveau des variétés. A titre d’exemple le coef de similarité des exportations entre l’EU 25 et la Chine passe de 0.5 à 0.25 et enfin à 0.15 au niveau des variétés. En d’autres termes les nations du Nord se sont spécialisées sur des variétés différentes, il n’y a donc pas de concurrence frontale.
Regard sur les parts de marché et sur l'évolution des spécialisations
L’heure de la synthèse a-t-elle sonnée ? Pas vraiment, l’analyse réalisée ici est quelque peu statique (réalisée uniquement sur l’année 2004) mais les auteurs étudient aussi l’évolution de ces spécialisations et montrent que les pays du Nord se sont spécialisés sur des biens de haute qualité alors que les pays du Sud se sont spécialisés sur des variétés de basse qualité. En guise d’exemple les parts de marché de la Chine sur la période 1995-2004 sur les segments de basse qualité ont augmentés de 8,23% alors que ceux des pays du Nord diminuaient. A l’inverse les parts de marché de l’Europe sur la haute qualité augmentaient de 6,26% sur cette même période. FGZ utilisent ensuite BACI pour déterminer les différences de prix à l’exportation de différentes variétés d’un même produit. Plus précisément ils calculent les valeurs unitaires médianes relatives. Les auteurs observent ainsi que les spécialisations sont plutôt stable au cours du temps. Sur près d’une décennie, une variété européenne à l’export aurait été trois fois plus chère qu’une variété chinoise. Cette constance dénote une différenciation verticale assez poussée. Les auteurs cherchent ensuite à analyser les déterminants de ces spécialisations et confirment l’étude de Schott (2004), plus un pays est développé plus la valeur unitaire (son positionnement sur de la haute qualité) à l’export augmente.
Equation de gravité
Enfin, FGZ utilise une équation de gravité pour étudier les déterminants du commerce de variété. Je ne présente ici qu’une partie de l’équation testée : Ln Xtijk= a+…+b1g1LnGDPPCti+ b2g3LnGDPPCti + b3g1LnGDPPCtj+ b4g3Ln GDPPCtj + c1g1Ztij+ c1g3Ztij+uk+vt+ etijk où Xtijk représente la valeur des exportations bilatérales du pays i vers le pays j à la date t pour une industrie k. Seuls les segments de marché de haute qualité g1 et de basse qualité g3 sont analysés. GDPPC représente le PIB par tête en parité de pouvoir d’achat. Le PIB du pays exportateur (GDPPCti) capte les déterminants de X du côté de l'offre alors que le PIB de l’importateur (GDPPCtj) devrait appréhender les facteurs jouant sur la demande. Pour l'offre on s’attend à ce qu’une productivité plus forte augmente les exportations en bien de qualité. Pour la demande un niveau de revenu par tête important devrait entraîner une demande de qualité plus forte et donc favoriser les exportations des industries spécialisées sur ces variétés. Enfin, Z est un indicateur de friction bilatérale incluant la distance, le langage commun, et les barrières tarifaires. Les biens de qualité, par essence plus complexes, sont peut être davantage exportés lorsque les deux pays partagent le même langage et sont relativement proches géographiquement (sur ce dernier point deux effets s’opposent: d’un côté des coûts de transport élevé devrait être plus favorable aux biens de qualité puisqu’ils vont augmenter le prix relatif des biens de basse qualité, mais à l’inverse le manque d’information due à la distance devrait avoir un impact négatif sur le commerce de qualité). Les GDPPC des importateurs et des exportateurs ont les signes attendus. Ainsi le revenu par tête du pays exportateur est bénéfique aux exportations de qualité et une hausse du revenu national se traduit par une hausse de la valeur unitaire des biens importés (le revenu marginal est consommé dans des produits importés de meilleure qualité plutôt que dans une hausse des quantités importées). Enfin l’éloignement géographique semble avoir plus d’importance pour les biens de basse qualité.
En guise de conclusion
En conclusion, il est temps de revenir la citation introductive : quel est l’impact des évolutions de spécialisation sur le marché du travail au Nord ? A première vue et puisque les pays ne produisent pas les même variétés on peut penser que les qualifiés sont plutôt protégés grâce à une faible concurrence - quoique grandissante dans la mesure où le développement permet de grimper l’échelle des spécialisations - mais pour les peu qualifiés la spécialisation des pays du Nord sur de la haute qualité est probablement néfaste… à vous de trouver (ou de faire) une étude qui le montre!

  • Biblio
Schott, Peter K. (2004). “Across-product Versus Within-product Specialization in International Trade.” Quarterly Journal of Economics 119(2): 646-677.

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