06 mars 2016

Les paradis fiscaux, c'est terminé


Excellente nouvelle en provenance du ministère des finances, le montant des redressements fiscaux est de 21,2 milliards d’euros pour 2015, soit une nette augmentation par rapport à l'année passée. Evidemment tout n'est pas recouvré, seulement 12 milliards sont rentrés dans les caisses, mais c'est déjà pas mal. Alors peut-on conclure avec Nicolas Sarkozy "il n'y a plus de paradis fiscaux [...] c'est terminé", ou avec Michel Sapin "On a tourné une page. Il y a une nouvelle mentalité au niveau mondial".

La question épineuse est évidemment de savoir quel pourcentage ces chiffres représentent par rapport au total de fraude et d'évasion fiscale. D'après Gabriel Zucman (2013), environ 12% du patrimoine financier des ménages européens est détenu dans un paradis fiscal et les ménages français détiennent environ 175 milliards d'euros en Suisse. Selon cet auteur, si cette évasion fiscale n'existait pas et si ces sommes étaient taxées normalement (i.e. aux taux en vigueur), la dette de la France ne serait pas de 95% mais de 70% du PIB. Au niveau mondial, les chiffres sont encore plus vertigineux, environ 5800 milliards d'euros soit 8% du patrimoine financier échapperait à tout impôt.
Historiquement, en ce qui concerne la France, cette évasion a en grande partie été organisée depuis la Suisse. D'ailleurs sur les 44 894 dossiers de régularisation, soit 27 milliards d’euros traité depuis 2013 par le service de traitement des déclarations rectificatives, environ 90% étaient domiciliés en Suisse.

L'attractivité de la Suisse pour les capitaux à la recherche d'un secret bancaire est presque centenaire. Suite à la première guerre mondiale, les nations sont ruinées et pour payer la reconstruction taxent fortement les revenus (le taux marginal de l'impôt sur le revenu passe de 20% à 72% entre 1920 et 1924 en France). Cette répression explique l'évasion fiscale,  de 1920 à 1929 la croissance réelle des comptes offshore augmente de 14% par an en moyenne avec des pics dans les années où la France durcit ses lois sur les grandes fortunes. Les années 50, 60 et 70 sont l'âge d'or du système helvète qui "détient" 1/3 des actions américaines détenu par des étrangers (soit loin devant le RU ou la France qui n'en détient que 7%), signe que la Suisse est devenu un cheval de Troie important. Dans les années 80 de nouveaux paradis fiscaux apparaissent mais ils ne se font pas forcément concurrence, chacun se spécialise dans une activité et ils opèrent en réseaux de façon complémentaire. On achète depuis la Suisse des sicav luxembourgeoise ou des sociétés écrans des îles Caïman.

Les années 90 et 2000 de libéralisation financière et de digitalisation de l'économie ont été des années fastes pour la mobilité discrète des capitaux, mais la crise de 2007 et l'endettement des Etats a relancé la lutte contre l'évasion. Les scandales a répétition de firmes multinationales ayant des taux effectifs de taxation très faibles (Google et le double Irish Dutch sandwich permettant de payer seulement 2% d'impôt sur les sociétés, luxleaks, etc) a aussi sans doute joué en faveur d'une pression politique plus forte sur des pays tels que l'Irlande, la Suisse ou le Luxembourg. Les rentrées fiscales récentes témoignent d'un certain succès de ces politiques. On aurait cependant tord d'être trop optimiste. D'après cette étude de Johannesen et Zucman (2014) une partie des capitaux est en train d'être transférée de la Suisse vers d'autres paradis fiscaux qui n'ont pas signé d'accord d'échange d'information avec la France (dont Hong Kong, Singapour et l'Uruguay).

Bibliographie

Johannesen et Zucman, 2014. The End of Bank Secrecy? An Evaluation of the G20 Tax Haven Crackdown. American Economic Journal: Economic Policy 2014, 6(1): 65–91

Zucman, G. 2013. Richesse cachée des nations. Seuil.

Zucman, G. 2013. The Missing Wealth of Nations, Are Europe and the U.S. net Debtors or net Creditors?, Quarterly Journal of Economics, 128(3): 1321-1364.


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