20 mai 2010

Institutions et performance économique-Théorie du bicamérisme (1)

Après avoir survolé la partie historique de cet ouvrage, couvrant les cinq premiers chapitres, il est temps de se focaliser sur les quatre grands chapitres théoriques qu’Helpman a sélectionné. Traitant de phénomènes institutionnels très importants, tels que le choix du bicamérisme dans un régime parlementaire, le lien entre guerres civiles et développement économique, l’organisation et les incitations au cœur des partis politiques à mettre en œuvre des politiques économiques, ou enfin l’effet de cliquet des politiques fiscales dans un cadre dynamique et multipartite, chaque chapitre fera l’objet d’un billet.




Le choix du Bicamérisme : Introduction


Le chapitre 6 est donc consacré au papier d’Abhinay Muthoo et Kenneth A. Shepsle qui analysent les interactions entre les chambres parlementaires selon les échéances électorales souvent échelonnées dans le temps. On définit le bicamérisme comme un système politique qui vise à distinguer dans un régime parlementaire  deux chambres, une chambre « haute » élue le plus souvent au suffrage indirect et une chambre « basse », assemblée traditionnellement élue au suffrage direct. Le but est clairement de modérer l’action du contre pouvoir exécutif, les représentants directs du peuple soumettent leurs décisions aux membres de la Chambre haute, qui représentent généralement les différentes régions, provinces ou états d’une nation. Le bicamérisme est donc particulièrement justifié dans le cadre d’un Etat fédéral,  avec une chambre représentante du peuple élue au suffrage direct et une assemblée représentante des différents états. Par exemple, le Congrès américain est une illustration de ce que représente le bicamérisme politique, puisque il  rassemble deux assemblées : le Sénat ou « chambre haute », composé de deux représentants par état et la Chambre des représentants ou « chambre basse » composée de 435 représentants de la population américaine.  Les échéances électorales du Sénat sont échelonnées dans le temps (renouvellement partiel tous les deux ans) alors que la Chambre des représentants est réélue de manière simultanée. Le but du bicamérisme ici est relativement clair, puisque la Chambre Haute permet de rééquilibrer les pouvoirs afin de ne pas défavoriser les « petits états » dans l’élaboration des lois américaines.


L’intérêt de cette analyse, à la fois empirique et théorique des auteurs  est de mettre en évidence les effets d’incitations des institutions, dans un cadre temporel dynamique, mettant en évidence  des équilibres dépendant en partie des modalités d’élections des assemblées parlementaires. Il est évident que la structure institutionnelle d’un Etat comporte des effets indéniables sur les comportements des agents politiques, via différents degrés d’incitation, qui relèvent d’une problématique de choix collectif (cf Théorie de Mancur Olson). Par exemple, un régime présidentiel ou parlementaire, monocaméral ou bicaméral, sous un système électoral majoritaire ou proportionnel conditionne les niveaux et la composition des dépenses publiques, de la dette, et surtout des taux de croissance et niveaux de développement des nations. C’est d’un point de vue empirique, une analyse qui se tient, bien que d’autres éléments entrent évidemment en compte dans l’analyse de la performance économique, c’est ce qui fait toute la variété de l’ouvrage d’Helpman.

L’analyse théorique de Muthoo et Shepsle consiste en une analyse des différences micro institutionnelles, autour d’un partage du gâteau entre les deux chambres parlementaires, tenant compte des différentes modalités d’élections (simultanées ou échelonnées au sein des deux chambres, simultanées dans l’une, échelonnée dans l’autre). Ces différences trouvent évidement leur justification dans les faits stylisés (Congrès Américain, Confédération Suisse, Sénat et Assemblée Nationale en France).


Le Modèle théorique : principales hypothèses



La première étape est la définition du modèle de base « Baseline » afin d’analyser les effets d’une modification des structures législatives ou de l’environnement économique. Les auteurs supposent donc qu’au départ  deux chambres constituent le pouvoir législatif et d’autre part ils posent l’hypothèse que pour chaque période, l’économie dégage un surplus fixe et exogène, surnommé le gâteau qui sera alloué entre les différentes entités représentées au sein des assemblées. Par souci de simplicité, les auteurs n’introduisent aucune politique fiscale de taxation, ni aucun arbitrage entre allocation privée ou publique du gâteau.

La structure temporelle du modèle est composée de périodes t=0, 1,2,3 … durant lesquelles chaque chambre est composée de deux législateurs, chacun ayant été élu par un corps électoral distinct ou "district électoral".
Les auteurs posent l'hypothèse suivante: on définit la probabilité П qu’un législateur ou député soit réélu, selon un principe de vote rétrospectif, ce qui suppose que cette probabilité П dépend positivement ou du moins non négativement des parts du gâteau reçu par le district électoral à la période précédente. Cette probabilité de réélection qui est introduite dans le modèle est conçue par les auteurs dans sa forme réduite, de manière exogène. La règle de vote et les comportements de l’électeur ne sont donc pas modélisés dans le modèle. Une autre hypothèse fondamentale de ce modèle est l’imperfection informationnelle dans un cadre temporel séquentiel. Chaque électeur dispose d’une information partielle et incomplète sur ce qui s’est fait durant les périodes passées par les anciens législateurs. Autrement dit, les votants ont une mémoire limitée sur les allocations du gâteau précédemment distribuées et ne réélisent leurs représentants qu’en fonction des allocations récemment perçues.

Les auteurs posent Ѳ la probabilité qu’un législateur soit suffisamment reconnu et influent pour qu’il puisse proposer une répartition du gâteau dont la Chambre entière dispose. Si sa proposition est acceptée, alors son district électoral reçoit la part voulue du gâteau, si l’offre est refusée par l’assemblée en question, alors tout gain est perdu. On impose également que si le législateur est indifférent entre l’acceptation ou le rejet d’une proposition de répartition, alors il l’accepte ; Il est relativement évident que le législateur choisit de proposer une répartition qui maximisera la part du gâteau allouée à son propre district.

A la période t=-1, c'est-à-dire au moment de l’élaboration du régime constitutionnel, on suppose que toutes les conditions d’élection,  de formation des assemblées et de prise de décision sont communément décidées par les Pères Fondateurs dans une perspective d’optimisation de leurs intérêts joints.

Chaque chambre parlementaire est en charge de la répartition de la moitié du gâteau, Muthoo et Shepsle vont ainsi analyser de manière séquentielle les différentes modalités électorales simultanées ou échelonnées. Pour chaque structure institutionnelle étudiée, l’équilibre politique atteint est un équilibre de Markov, à savoir qu’une fois les choix institutionnels établis (par exemple choix du bicamérisme) en période -1, les stratégies politiques répondent à une logique d’indépendance historique des décisions. Le mécanisme d’équilibre ne peut pas tenir compte d’un quelconque choix inter-temporel ou coopératif.


Quels sont les principaux résultats obtenus ?



En imposant une contrainte de départ dans laquelle le monocamérisme est choisi par les fondateurs, les auteurs montrent qu’il est parfois préférable d’établir des procédures d’élections échelonnées, plutôt que simultanées. En effet, partant du point où les élections seraient simultanées, autrement dit l’unique assemblée est totalement remise en question à chaque échéance électorale,  la probabilité que les élections renouvellent complètement la composition de l’assemblée est fortement positive, ce qui implique une faible expérience politique au sein de la chambre parlementaire et donc une inefficacité relative des décisions menées. Dans le cadre d’un renouvellement partiel et échelonné, ce type de scenario est impossible. En outre, l'existence d'une seule chambre augmente le risque que le législateur se voit refuser une proposition de répartition du gâteau et que le district électoral ne perçoive finalement aucune contribution. C'est ce dernier élément qui met au cœur de l'analyse le degré d'aversion au risque des agents.

Rappelons à présent que le modèle de base prévoit une structure bicamérale, qui se divise le gâteau en deux. Trois cas doivent être successivement examinés : les deux chambres sont simultanément renouvelées, ou les deux sont partiellement réélues, ou l’une des deux connait des élections échelonnées et pas l’autre.

- Dans le premier cas, le modèle démontre qu’un pouvoir législatif bicaméral avec une unique échéance électorale est une situation Pareto-supérieure au cas où une seule chambre existe. Le bicamérisme sera donc choisi ex-ante, tendant à confirmer le choix du scenario de base, reflétant également l'aversion au risque des agents. En effet, ce scenario permet de fournir une probabilité plus importante de recevoir une part du gâteau.
- De même que lorsque les deux assemblées ont des modalités électorales échelonnées, le modèle démontre une supériorité selon le critère de Pareto par rapport au monocamérisme, toujours sur la base d’une aversion au risque des agents, qui préfèrent maximiser la probabilité de recevoir une part du gâteau, sous forme d’allocation, plutôt que de risquer de ne rien recevoir.
- Le troisième cas d’asymétrie des conditions électorales des deux chambres n’est pas directement évaluable à travers la spécification du modèle. En effet, l‘optimalité de l’une ou l’autre procédure dépend de la valeur de certains paramètres tels que la probabilité de réélection des législateurs (qui dépend on le rappelle des allocations reçues en période précédente par chaque entité électorale) mais surtout la probabilité des législateurs à être suffisamment influents pour proposer eux-mêmes une répartition du gâteau, paramètre qui dépend lui-même des échéances électorales (plus les élections approchent pour certains législateurs, plus leurs moyens d'actions seront importants).
Néanmoins, les auteurs avancent que lorsque les paramètres sont tels que le pouvoir d’imposer un ordre du jour pour un législateur est le même dans le cadre d’élections partielles ou totales, alors, les agents seront indifférents aux trois structures possibles du bicamérisme.

Conclusions


En choisissant de mettre cette étude en exergue, Helpman cherche à souligner l'importance de l'organisation institutionnelle, mais aussi des incitations des décideurs politiques. Si l'analyse se focalise sur le choix ex-ante de la structure institutionnelle, cela n'empêche pas de lier ces principales conclusions aux faits stylisés qui mettent en évidence les différences de performances économiques liées au fonctionnement des institutions. Les contre-pouvoirs sont nécessaires et plus les agents économiques sont averses au risque, plus la présence de deux chambres constituantes sera souhaitée. Muthoo et Shepsle ont ainsi démontré que sous certaines conditions; le bicamérisme est un choix plus adéquat que le monocamérisme. En effet, l'équilibre atteint grâce à un programme de maximisation des parts du gâteau est Pareto-supérieur aux équilibres atteints dans le cadre où une seule chambre parlementaire est instaurée.  Il est cependant important de rappeler que ce modèle dépend fortement des hypothèses avancées par les auteurs et surtout de la valeur des paramètres principaux du modèle théorique. Ceci rappelle bien qu'il n'y a pas une seule structure institutionnelle qui soit optimale sans qu'elle dépende de la taille et des traits caractéristiques de chaque nation.

1 commentaire:

  1. MacroPED5/20/2010

    Honnêtement, je commencais à impatienter au point de me dire si vous n'alliez plus continuer avec ce billet. Là je suis aux anges...

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