La prise de conscience des citoyens concernant l'environnement et le réchauffement climatique était-elle éphémère? La crédibilité du GIEC, qui lui a valu un prix Nobel pour ses études sur le changement climatique, va t-elle éclater comme une bulle au soleil?
L'engouement pour "le vert" semble s'essouffler, le sommet de Copenhague a été un fiasco et les opposants à la thèse du réchauffement ont de plus en plus voix au chapitre. A titre d'illustration, juste avant Copenhague, des e-mails de climatologues sont piratés et les septiques en découvrant le contenu de ces mails crient victoire. Une victoire dénommée "climategate" selon laquelle les chercheurs bidouilleraient les données (une sombre histoire de dates récentes non prises en compte pour lesquelles les températures seraient plus faibles et un questionnement sur les températures au moyen-âge). De plus, il y a quelques mois, c'est une étude sur l'Himalaya qui a fait couler bcp l'encre suite à une erreur du GIEC (le glacier disparaitrait d'ici 2035... une hallucinante erreur dommageable pour la crédibilité de l'institution) et un peu partout on voit fleurir des vidéos aux noms éloquents (l'arnaque du réchauffement climatique par exemple).
Ce type de polémique a tendance à élever le taux d'actualisation des agents, et par ce biais, à relativiser les coûts de l'inaction. A l'inverse la "journée de la terre" et autres manifestations ont un objectif inverse.
Le post d'aujourd'hui traite justement de ce taux d'actualisation, il trouve ses sources dans les textes de Godard (2008), de Heal (2008) et de Schubert (2006).
Le taux d'actualisation
Si vous ne savez rien du taux d'actualisation, je vous conseille un petit tour par chez optimum.
Le taux d'actualisation se définit par:
rho=d+n(c)g(c)
ou rho est le fameux taux d'actualisation qui dépend du taux de préférence pour le présent d, de l'élasticité de l'utilité marginale n et du taux de croissance de la consommation g(c).
Comme le note Weitzman (2007) la plupart des économistes utilisaient jusqu'à présent un triplé de 2 (d=2, n(c)=2, g(c)=2) où quelque chose de très proche pour obtenir un taux d'actualisation qu'ils considéraient comme plausible, soit avec le triplé de 2: rho=6%. Birdsall et Steer (1993) prônent un taux de 8% et Nordhaus (2007) adopte un taux d'actualisation de l'ordre de 4,5%. Ce qui conduit ces auteurs a relativiser la nécessité d'agir contre le réchauffement climatique, dont les coûts ne sont guère élevé du fait de ce taux d'actualisation important. Certains auteurs en sont même venu à conclure que les coûts du changement climatique étaient si faibles qu'ils ne justifiaient pas le Protocole de Kyoto. A l'inverse, Stern et son équipe ont utilisé des valeurs très différentes soit d=0.1, n(c)=1, g(c)=1.3 ce qui donne un taux de 1,4%. Avec un tel taux, les coûts de l'inaction peuvent s'élever à 20% du produit mondial par an. Le coût de l'action contre le changement climatique n'étant que de 1% par an, la nécessité d'agir contre les émissions de CO2 semble évidente à la lecture du rapport Stern. Dans les sections qui suivent nous allons étudier les différents paramètres et variables de ce taux d'actualisation pour comprendre le débat des économistes sur la nécessité d'agir aujourd'hui.
Taux de croissance de la consommation
Le taux de croissance de la consommation par tête g(c) est le moins discutable, il peut être appréhendé en utilisant des données historiques de consommation. Mais les projections ensuite réalisées sont tout de même critiquables, le passé n'augure pas du présent notamment pour des projections longues où certaines ressources viendraient à manquer. En effet des dégradations environnementales radicales pourraient conduire à une diminution de la consommation (et ce d'autant plus que les biens environnementaux et les biens de production sont complémentaires). Pour analyser ceci il faut introduire du capital naturel (noté k), le taux d'actualisation est alors du style rho=d+n(c)g(c)+n(k)g(k). On voit ainsi qu'il faut non seulement analyser l'évolution de la conso g(c) mais aussi du capital naturel g(k) et enfin étudier la complémentarité ou la substituabilité de la consommation et du capital naturel dans le bien-être, soit n(k). Ca peut changer pas mal de chose dans l'analyse, je renvois à Heal pour ceux que ça intéresse, il propose d'étudier des biens non substituables pour des revenus faibles, ainsi une consommation minimale de certains biens naturels est essentielle et difficilement remplaçable. Voir aussi cette vidéo de Thomas Sterner, un économiste suédois très connu sur le sujet qui présente (dans un très bon français) les résultats de sa recherche.
En utilisant le même taux d'actualisation que Nordhaus mais en supposant que la croissance ne peut pas avoir lieu dans tous les secteurs (les secteurs utilisant massivement des ressources naturelles ne peuvent pas croitre éternellement), il retrouve des résultats très proche de ceux de Stern sur le moyen terme.
En utilisant le même taux d'actualisation que Nordhaus mais en supposant que la croissance ne peut pas avoir lieu dans tous les secteurs (les secteurs utilisant massivement des ressources naturelles ne peuvent pas croitre éternellement), il retrouve des résultats très proche de ceux de Stern sur le moyen terme.
Taux de préférence pour le présent
Quel poids doit-on donner au futur? Le taux de préférence pour le présent d répond à cette question, il est exogène et son choix est éthique, il représente le poids que l'on attribue aux générations futures, il reflète l'aversion d'une société à l'inégalité intergénérationnelle.
Dans une citation, souvent reprise Ramsey (1928), fidèle à sa tradition utilitariste, écrivait : "It is assumed that we do not discount later enjoyments in comparison with earlier ones, a practice which is ethically indefensible and arises merely from the weakness of the imagination", pour lui ce taux devait être égal à zéro, chaque génération compte de la même façon.
C'est assez pratique de considérer qu'avec d=0 toutes les générations ont le même poids, mais c'est une approximation car si on creuse un peu ce n'est pas tout à fait vrai, Koopmans (1960) remarquait notamment (en se référant aux modèles de croissance optimale) qu'avec un tel taux, l'épargne des générations proches devaient être très importante (un irréaliste sacrifice) pour satisfaire les consommations de l'infinité des générations futures, donc d=0 ne garantit pas de traitement totalement égal dans les modèles standards. Dans une vision rawlsienne, si on considère que grâce à la croissance économique les générations futures seront plus riches, alors l'objectif premier sera de maximiser le sort de la génération actuelle.
Notons que de nombreuses expériences remettent en question la constance de la préférence pure pour le présent. Les individus ont tendance, dans certaines situations, à réagir plus facilement a une variation proportionnelle du temps plutôt qu'à une variation absolue. Dans un tel cas le taux de préférence pour le présent est décroissant.
Tout aussi éthique est le choix de n, qui représente en quelques sortes l'aversion à l'inégalité intragénérationnelle. Hélas la théorie est loin d'être claire sur ce taux qui peut aussi être considéré comme le degré d'aversion au risque.
Ce taux dépend de la concavité de la fonction d'utilité, c'est à dire de la décroissance de l'utilité marginale.
Avec un n égal à l'unité, Stern considère que les générations présentes devraient payer un coût de 1% pour que celles de 2150 n'ai pas à payer un coût supérieur à 1% (en termes de conso par tête) et ce même s'ils sont 10 fois plus riches. C'est certes critiquable, il est difficile de demander aux générations présentes de se sacrifier ainsi pour des générations qui n'existent pas et qui seront plus riches (on parle souvent de "nos enfants" pour désigner les générations futures, alors même que la plupart du temps "nos enfants" appartiennent à la génération présente).
Si Stern avait choisi n=3 alors sa conclusion d'action immédiate ne tenait plus. Weitzman propose n=2 et Heal and Kristrom citent la littérature financière pour laquelle l'aversion au risque (qui n'est autre que n) est comprise en 2 et 6. Sterner à l'inverse, considère cette valeur comme étant déjà élevée, puisque elle impliquerait des transferts qui ne sont pas observés dans le monde actuel.
L'aversion au rique et le coût de l'action
Nous allons présenter ici l'étude de Heal and Kristrom. La question posée par les auteurs est la suivante: quels sont les coûts à payer pour éviter le risque d'un changement climatique?
Notons I le revenu de la société dans le cas d'une absence de changement climatique, et u(I) l'utilité retirée dans un tel cas. Plusieurs changements climatiques peuvent avoir lieux, avec une probabilité p affectant le revenu mondial qui devient alors égal à I. L'espérance d'utilité après changement climatique est alors la somme des p*u(I). Supposons que cette modification de l'environnement apparaissent à la date C et notons d le poids donné aux bénéfices ou aux pertes à la date t+1 par rapport à ceux de la date t. Avec ces notations d^{t-1} est le poids donné aux pertes à la date t par rapport à ceux de la date 1. Supposons que nous souhaitons financer un cout de dépollution à partir de maintenant jusqu'à la date C pour éviter le changement climatique. Quel sera ce coût? Ce coût noté x sera la solution de l'équation suivante:
T étant l'horizon temporel maximum. Les auteurs fixent T=1000. x peut aussi être vu comme le coût supplémentaire pour passer d'une technologie polluante à une technologie propre i.e solaire, géothermique etc*. Ils étudient trois scenarii, un premier scénario A où la proba de perdre 5% du revenu mondial est de 20%, la proba de perdre 15% est de 10% et la proba de perdre 25% est de 5%. Il y a donc dans ce scénario 65% de chance de ne rien perdre. Et l'espérance de perte s'élève à 3.75%. Les autres scenarii reportés ci-dessous sont plus optimistes.
Le tableau 2 fixe des valeurs à l'indice d'aversion au risque (entre 0 et 6) et au taux d'actualisation (entre 1 et 5%) et utilise les proba du scénario A pour résoudre l'équation (x). Ce qui nous donne les différents coûts supplémentaires du passage d'une technologie polluante à une technologie propre:
IRRA est l'indice d'aversion au risque (cette aversion aux risques pour une utilité u(I) est donnée par -Iu′′/u′) et le delta minuscule employé par les auteurs est notre taux d'actualisation d. Les auteurs montrent ainsi que la dépense nécessaire pour éviter le changement climatique pourrait représenter 8.13% du revenu mondial si l'aversion au risque est forte (IRRA=6) et si le taux d'actualisation est faible. Pour d'autres valeurs de paramètres ce coût pourrait s'élever uniquement à 0.1% (non reporté ici). Le problème de ce type d'étude réside dans les probabilités d'occurrence d'une catastrophe qui sont inconnue.
En guise de conclusion
L'incertitude est au cœur du débat climatique (hausse de température ou encore les conséquences de cette hausse en terme de précipitation, vent, montée des eaux....) mais nous ne sommes pas ici dans l'univers risqué des économistes "mainstream" où l'on connaîtrait les probabilités d'occurrence des différents états de la nature et où l'on pourrait calculer l'espérance d'utilité, mais dans un univers d'incertitude radicale où la distribution des risques n'est pas connue. Ne connaissant pas la distribution des probabilités de changement climatique, Henry et Henry (2002) proposent une démarche axiomatique critique sur l'espérance d'utilité, de leur point de vue il semble nécessaire d'appliquer alors un principe de précaution. Mais il n'y a guère de quoi à être optimiste, la tragédie des communs s'applique ici, les interactions stratégiques entre pays débouche sur un dilemme du prisonnier, la situation où tout le monde pollue est un équilibre de Nash (Copenhague).
La journée de la terre, ou celle de l'environnement, ou encore les appels à couper l'électricité nous rappelle que cet équilibre n'est pas Pareto efficace. Mais les difficultés à se coordonner, à se lier les mains comme Ulysse face à l'appel des sirènes, semblent insurmontable tant la préférence pour le présent est forte et l'aversion au risque futur faible dans nos sociétés.
Biblio partielle
Godard, 2008, Long terme et actualisation, Revue d'Economie Philosophique. 9(2), 69-92.
Heal, G., Climate economics, a meta-review and some suggestion, NBER n 13927.
Heal, Geoffrey and Bengt Kriström 2002. Uncertainty and Climate Change. Environmental and Resource Economics, 22, 3-39.
Henry, C and M Henry 2002. "Formalization and applications of the Precautionary Principle,"Working Paper, Laboratoire d'Économetrie de l'École Polytechnique.
Nordhaus, William 1993. Rolling the DICE: An Optimal Transition for Controlling the Emission of Greenhouse Gases, Resource and Energy Economics, 15: 27-50.
Nordhaus,William 2007. The Stern Review of the Economics of Climate Change, Journal of Economic Literature.
Schubert K, 2006, Eléments sur l'actualisation et l'environnement, Louvain Economic Review 72(2).
Note de bas de post
*Avec le développement de ces technologies, les auteurs supposent que ce coût ira en diminuant et sera égal à zéro le jour où le changement climatique aura lieux. En guise d'exemple illustratif ils supposent que ce changement devrait se manifester dans 50 ans. De plus x est exprimé en % du revenu mondial dont la valeur initiale est fixée à 10. Les auteurs utilisent une fonction d'utilité avec une aversion au risque constante.
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