21 janvier 2010

La sous-évaluation du Yuan à la lumière des modèles de taux de change d'équilibre- 2nd volet

Nous allons ici présenter différents modèles de taux de change avant de présenter en dernière partie une évaluation du Yuan en utilisant le modèle NATREX.

1. Le cas du Petit Pays

Lim et Stein en 1995 ont élaboré une version du Natrex adaptée à des économies de petite taille afin d'étudier les comportements du taux de change d'un pays ne pouvant pas avoir d'influence sur les marchés. Cette version est détaillée et illustrée avec le cas du taux de change de l'Australie dans un papier publié en 1995. La lecture du papier mène le lecteur à se pencher sur le modèle d'Edwards élaboré en 1988 dont Stein s'est inspiré pour son analyse d'une petite économie. Il sera donc nécessaire d'expliciter le modèle d'Edwards afin de comprendre la démarche et les apports personnels de Stein dans ce modèle de taux de change d'équilibre. Par définition, le taux de change réel effectif s'écrit:
\[
R=\Pi_{i}N\left(\frac{P}{P^{*}}\right)^{\Theta_{i}},
\]
avec N le taux de change nominal bilatéral, P et P* les prix à la consommation domestique et partenaire, et \Theta_{i} la pondération appliquée au taux de change réel bilatéral représentent le poids de chaque partenaire en termes de volumes échangés. On suppose également que chaque pays produit un bien exportable (1 ou 2) et un bien n dit « non échangeable », dans une proportion a pour le pays étudié et b pour le ou les pays partenaires.

P et P* s'expriment alors comme le prix composite de deux types de biens produits dans l'économie (P= Pn^a. P1^(1-a), et P*=Pn^b.P2^(1-b))

On définit les termes de l'échange comme le prix relatif des biens exportables domestiques par rapport aux produits échangeables produits à l'étranger exprimés dans la même monnaie (T=N.P1/P2*) et le prix relatif des biens non échangeables (n) par rapport aux exportations (Rn=Pn/P1, Rn*=Pn*/P2)

En reprenant l'expression des prix à la consommation comme des composites des biens exportables et non échangeables, ainsi que l'expression du taux de change réel fonction des indices de prix on obtient l'expression suivante (en normalisant  P2*/Pn*normalisé à 1):
\[
R=T\left(R_{n}\right)^{a}
\]
Le taux de change réel d'une petite économie est donc fonction de T les termes de l'échange, variable exogène puisque un petit pays ne peut exercer aucune influence sur les prix mondiaux, et de Rn le prix relatif des biens n, endogène, dont on verra les fondamentaux de moyen et long terme. Soit logR= logT+ alogRn+ e. Avec Rn variable endogène qui permet d'équilibrer le marché. Deux hypothèses permettent d'expliquer la formation du taux de change.

- L'équilibre du marché interne, qui, en supposant la coexistence de deux secteurs les biens échangeables et non échangeables, passe par un équilibrage du marché des biens non échangeables, étant donné que seul le prix relatif des biens non échangeables étant endogène (les prix mondiaux étant fixes), le retour à l'équilibre se fait grâce à Rn

- L'équilibre externe qui revient à équilibrer la balance commerciale, exportations et importations dépendant du prix relatif des biens n Stein suite au modèle d'Edwards, reprend l'hypothèse que Rn est une variable endogène qui est également déterminée par la consommation sociale (privée+publique) en termes de PIB. En effet, la consommation ou préférence pour le présent a un impact sur l'équilibre interne lorsqu'il s'agit de la consommation de biens n et sur l'équilibre externe en impactant la balance commerciale, donc la balance courante. On peut signaler que contrairement au modèle pour un grand pays, la variable «consommation» n'est pas exprimée en termes relatifs vis-à-vis de la monnaie de référence lorsque le taux de change réel est bilatéral ou vis-à-vis des consommations des pays partenaires lorsque le taux de change réel est dit effectif. En effet, en supposant que l'équilibre d'une petite économie est atteint par le biais de son marché interne des biens n (du fait de la non-influence d'un petit pays sur le marché mondial), on pose implicitement l'hypothèse que les fondamentaux du taux de change réel sont exprimés en termes absolus dans le sens où ils correspondent aux variables domestiques uniquement.

2. Le rôle de la productivité : l'effet Balassa intégré dans l'analyse


Edwards a tenté d'intégrer dans son modèle le rôle de la productivité par le biais du progrès technique. Stein reprendra et complètera son modèle en introduisant des équations structurelles plus détaillées afin que chaque variable, notamment les productivités relatives de chaque secteur soit expliquée. L'idée sous jacente est relativement intuitive, elle se base sur le constat que les productivités relatives des secteurs n'évoluent pas au même rythme notamment lorsqu'un secteur est exposé à la concurrence internationale et pas l'autre. Ainsi, on admet communément que les gains de productivité seront toujours plus élevés dans le secteur exportable que dans le secteur des biens n. C'est l'hypothèse Baumol Bowen (mise en évidence par Obstfeld et Rogoff) sous jacente qui stipule que les activités non échangeables sont naturellement moins susceptibles d'engranger des gains d'efficience : il parait évident que les services ou encore la construction ne peuvent pas enregistrer des gains de productivité aussi important que l'agriculture ou l'industrie. Si la productivité relative des biens exportables augmente, alors leur prix doit mécaniquement baisser faisant monter le prix relatif des biens non échangeables. Or d'après la définition du taux de change réel, une hausse de Rn entraîne mécaniquement une appréciation réelle de la monnaie.


Balassa suppose que le travail est mobile entre les secteurs, donc que les salaires s'égalisent W=W1=W2. Le prix de vente p doit être égalisé au cout marginal de production p=cm, cm étant lui-même égal à la productivité marginale du travail que l'on note Cm=W/H, aussi Balassa pose l'expression de Rn telle que Rn= Pn/P1= (W/Hn)/(W/H1) = H1/Hn. Ce qui n'est autre que le rapport des productivités relatives entre secteurs. Le taux de change réel s'écrit alors:
\[
R=T\left(\frac{H_{1}}{H_{n}}\right)^{a}\left(\frac{H'_{2}}{H'_{n}}\right)^{b},
\]

3. L'analyse dynamique selon Lim et Stein en 1995


Les auteurs définissent un vecteur Z de fondamentaux de long terme i.e. exogènes : Z=T,u,s,r* soient T, les termes de l'échange, u, le vecteur de la productivité des facteurs (u= u1, un), s l'épargne sociale par le biais de la fonction de consommation reprise du modèle d'Edwards et r* le taux d'intérêt réel mondial par le biais de la fonction d'investissement mais aussi de l'équilibre de portefeuille explicité dans le modèle.

Reprenons rapidement les fonctions sous jacentes du modèle:

- la fonction d'investissement s'écrit dk/dt=I=I(q) avec q=q(k,T,Rn,u,r) le ratio de Tobin, qui intègre k le stck de capital et implicitement l'intensité capitalistique, T les termes de l'échange, Rn le prix relatif interne, u les productivités sectorielles relatives et r le taux d'intéret.

- la fonction de consomation sociale C=C(k-F,1-s), k-F étant la richesse nette (stock de capital-dettes) des agents et s une mesure de l'épargne sociale qui reflète l'inverse d'un taux d'actualisation social (lissage de la consommation)

- Les auteurs spécifient que la valeur d'équilibre de la dette est une variable endogène stable à LT, qui est fonction des fondamentaux Z. La fonction d'épargne sociale s'écrit alors
S=Y(k,u)-r*F-C(k-F,1-s)=S(k,F,Z) avec Y le produit national dépendant du capital et de la productivité des facteurs, moins les intérêts de la dette, moins la consommation. Une hausse de la dette réduit la richesse et augmente l'épargne dans le respect de la condition de soutenabilité de la dette.

- L'équation de balance de portefeuille répond à plusieurs hypothèses qui sont: la non-validité empirique de la parité des taux d'intérêt non couverte qui intègre explicitement les anticipations des agents. On considère l'absence de risque de défaut de paiement à court terme et le différentiel des taux d'intérêt entre le pays étudié et le reste du monde est stationnaire dans le temps.
L'équation de portefeuille s'écrit ainsi: r=r*+h(F,t) Ainsi, le taux d'intérêt du pays étudié doit converger vers le taux d'intérêt mondial, mais la vitesse de convergence est altérée par la dette externe qui au cours du temps augmente le risque à long terme d'un investissement de portefeuille, notamment la probabilité de dévaluation de la monnaie

Ces fondamentaux agissent donc au sein de la dynamique du taux de change réel, du compte courant, de la dette et des mouvements de capitaux. Deux horizons temporels sont clairement distingués dans le cadre de l'analyse dynamique de la formation de R : le moyen terme pour lequel le stock de dette externe (F) et de capital (k) sont fixés et une trajectoire de long terme dans laquelle dette externe et capitaux deviennent endogènes, puis convergent vers une valeur d'équilibre.

La démarche générale de l'analyse dynamique consiste en une décomposition en trois parties:

- Comment les fondamentaux affectent Rn et R à moyen terme pour k et F fixés?
- Comment le capital (k) et la dette (F) évolue en réponse aux fondamentaux ?
- Comment l'évolution de la dette et du capital affectent-ils l'évolution de R et Rn pour atteindre un état stationnaire?

Jusqu'à l'état d'équilibre de LT, le prix relatif interne Rn dépend donc du stock de capital (k), du stock de la dette (F), et des fondamentaux exogènes, le vecteur Z =T, u, s, r*. Ainsi, le taux de change d'équilibre à moyen terme dépend des mêmes composantes puisqu'il s'écrit:
R= T. (Rn)^a = R [k(t), F(t), Z(t)]

Le capital est la dette évoluent dans le temps en fonction de l'épargne et de l'investissement, donc du compte courant. Ceci représente la clé de la dynamique de moyen terme vers l'état stationnaire de long terme. A l'équilibre de long terme le stock de capital et la dette atteignent leur niveau soutenable de long terme associés à k(Z) et f(Z), dépendant strictement des fondamentaux exogènes. Le Natrex doit alors converger vers R(Z(t)), état non stationnaire du taux de change réel car il s'agit d'un équilibre instable dépendant du temps.

Les équations du modèle Natrex dans le cadre d'un petit pays s'écrivent alors:

- Equilibre interne: Cn (Rn,k-F,s,T)+(1-m)I(q)-Q(Rn,k,u)=0 soit la demande de biens non échangeables (qui équivaut à la consommation des ménages Cn ainsi que la part de l'investissement consacrée aux biens non échangeables dans une proportion (1-m) qui égalise l'offre de biens non échangeables. On rapelle que la consommation de ces biens dépend du prix des biens, de la richesse nette des agents qui s'identifie au stock de Capital moins le stock de dette k-F, de l'épargne et des termes de l'échange; l'investissement est une fonction classique du ratio de Tobin; l'offre de biens n étant fonction du prix, des productivités relatives et dotations factorielle

- Equilibre externe: CA=Q₁(Rn,k,u)-mI(q)-C₂(Rn,k-F,s,T)-r*F soit la balance commerciale qui s'écrit comme le total des exports (P1= numéraire) moins la part des biens importés investis moins la consommation importée.


Le Scénario économique sous jacent du modèle est le suivant: Le prix relatif interne doit équilibrer le marché des biens, en rappelant qu'il est fonction de Z= (T, u, s, r*) mais aussi de variables endogènes qui sont F et k, la dette et le capital à moyen terme.
R est donc fonction de Z, F et k à moyen terme, et uniquement fonction de Z à long terme, les fondamentaux influençant de manière endogène stock de capital et dette qui convergent vers leur valeur d'équilibre.

Deux hypothèses fortes à long terme:
- Le stock de dette et de capital en termes de PIB sont supposés stables
- Les évolutions de F et k produisent de nouvelles solutions de Rn.

Autour de ces deux hypothèses Lim et Stein analyse le passage d'un état stationnaire de moyen à long terme. Le stock de capital et de dette évolue à travers le temps avec l'épargne et l'investissement, ce qui produit une trajectoire particulière du Natrex avec des excédents ou déficits de la balance courante.

Posons le système dynamique complet de R dR/dt=dR/dL(k,F,Z)+dR/dJ(k,F,Z)+dR/dZ.dZ/dt avec les deux hypothèses de long terme dk/dt=0=J, soit la stabilité du stock de capital dans le temps dF/dt=0=L, soit la stabilité du stock de la dette dans le temps.

Le respect de ces deux conditions de long terme permet d'introduire les niveaux k* et F* d'équilibre et le mécanisme sous jacent : Une augmentation de k le capital implique une baisse du produit marginal et donc une baisse de l'investissement net et donc un désendettement extérieur qui réduit le risque h(F) et par la même entraîne la réduction de r le taux d'intérêt réel d'où une incitation à investir de nouveau pour un retour à l'équilibre i.e. une restauration du niveau d'investissement à son niveau stable. Dans le cadre d'une contrainte budgétaire intertemporelle il est requis par les auteurs que la dette réelle converge vers un niveau soutenable de la dette CA=B*-rF*=0,avec B la balance commerciale et rF* les intérets de la dette.


Pour la stabilité du modèle deux conditions doivent être respectées:
- Une hausse de l'intensité capitalistique baisse le produit marginal du capital et donc réduit l'incitation à investir (effet visible par le biais du ratio de Tobin)
- Une hausse de l'endettement, pour un niveau de capital donné doit augmenter l'incitation à épargner, (effet Ricardien) produisant une sortie de capitaux et réduisant la dette pour atteindre L=0


Donc, les solutions simultanées de J(k*,F*,Z)=0 et L(k*,F*,Z)=0 impliquent que l'état d'équilibre de long terme dépendent uniquement du vecteur Z exogène. Ainsi le taux de change réel d'équilibre à long terme pour une petite économie s'écrit: RnatrexLT= R(s,u,T) avec à long terme, une égalisation des taux d'intéret au niveau du taux mondial, avec s le taux de préférence pour le présent ou consommation sociale, u la productivité relative du secteur exportateur, et T les termes de l'échange.

4. Le cas de l'économie émergente


Dans le cadre d'une économie dite émergente, Stein établit une variante de son modèle adaptée aux économies de taille réduite. En effet Stein avance l'idée qu'une économie émergente grâce à sa politique d'ouverture commerciale "agressive" et à l'attraction des capitaux étrangers et investissements directs étrangers, le pays alimente des fondamentaux du taux de change plus spécifiques. Les IDE, d'une part, permettent des transferts technologiques tout en finançant les déficits de balance courante, les politiques d'ouverture commerciale, d'autre part, amènent à des gains de productivité importants via une réallocation plus productive des ressources et donc à une amélioration du rendement du Capital. Ainsi, de manière plus globale, une économie émergente par son ouverture commerciale et financière connait des gains de productivité, une amélioration des termes de l'échange, de la balance commerciale et de son taux de croissance économique.


Ces élements font que l'équilibre du taux de change va être impacté de manière un peu différente à moyen et long terme. Le taux de croissance économique a un rôle important dans la formation du taux de change, devenant ainsi une variable fondamentale du modèle, au même titre que la productivité et les consommations sociales. On sort du cadre théorique précédent puisque l'équilibre ne s'établit plus autour du marché interne via l'équilibre des biens non échangeables. Ce constat est relativement intuitif lorsque l'on considère des économies qui posent leur stratégie de croissance sur une ouverture très forte de leur économie.


A moyen terme, l'équilibre du taux de change tient compte des flux d'IDE, qui entraînent mécaniquement une appréciation du taux de change réel via une entrée massive des capitaux et une amélioration de la rentabilité économique via les transferts technologiques, donc des gains de productivité, une amélioration des termes de l'échange et du taux de croissance.Ceci permet de montrer que les termes de l'échange deviennent endogènes aux IDE, et qu'il n'est donc plus pertinent de les introduire comme variable fondamentale du taux de change réel. A plus long terme, deux effets opposés sont mis en évidence par Stein: d'une part, plus les flux d'IDE seront abondants, plus le montant de revenus du Capital versés à l'étranger sera élevé, ce qui contribue à terme à détériorer la Balance courante. D'autre part, l'amélioration des gains de productivité et les effets positifs sur la balance commerciale entraîneront via l'effet Balassa-Samuelson une appréciation réelle de la monnaie. Si le second effet domine, l'appréciation réelle de la monnaie sera vérifiée à long terme. l'équilibre de long terme s'écrie alors en ofnction des seuls déterminants exogènes qui sont:

RnatrexLT= R(s/s*,u/u*,g)

avec s et s* les taux de préférence pour le présent ou les consommations sociales relatives, u et u* les productivités relatives des biens exportables et g le taux de croissance du pays étudié, devenu exogène à long terme.

Ainsi en guise de conclusion de cette partie théorique, partant du modèle détaillé de Stein adapté aux économies de taille réduite, il a été possible d'établir une extension encore plus proche de la réalité des économies émergentes, afin d'associer à l'analyse du taux de change réel chinois, un modèle adapté à aux caractéristiques et besoins de l'économie chinoise. Stein permet ainsi de juger la valeur réelle du Yuan de manière moins indépendante de ses besoins en termes de croissance afin de répondre à la nécessité de réduire le taux de chomâge important et souvent déguisé de la Chine.

5. Vérification empirique du modèle dans le cadre du Renminbi Chinois


On rappelle que la Chine est très régulièrement montrée du doigt comme faussant régulièrement les règles du Commerce international par le biais d'une instrumentalisation de son taux de change. Certains économistes allaient jusqu'à évaluer la sous évaluation du Yuan à hauteur de 20- 30% par rapport à sa valeur d'équilibre. Or, il est évident que ce genre de conclusions dépend de manière considérable du modèle d'équilibre choisi, i.e. des fondamentaux utilisés pour déterminer la valeur d'équilibre du monnaie. Il est intéressant de tester empiriquement le modèle Natrex, d'une part dans le but de confirmer ou infirmer les ordres de grandeurs avancés jusqu'alors, d'autre part pour illustrer l'idée que la prise en compte de fondamentaux du taux de change caractéristiques des économies émergentes telles que la Chine.


Après avoir récolté les données sur la période 1970-2008 et estimé économétriquement le modèle Natrex dans sa version adapté aux économies émergentes, il est possible d'établir un graphique représentant les mésalignements monétaires du Yuan par rapport à sa valeur d'équilibre de long terme (estimé sur la période 1972-2006). On obtient ainsi le graphique suivant : Les sources de données sont la base du FMI (IFS database CD-ROM) pour les taux de change (nominaux plus les prix à la consommation pour estimer les taux de change réels) et les consommations privées, publiques, PIB, UN database, la base des Nations-Unies pour les taux de croissance du PIB chinois et enfin la base de donnée établie par Maddison pour obtenir les productivités relatives (PPA).


Ce graphique nous permet d'émettre des commentaires intéressants sur les mésalignements au cours du temps de la monnaie chinoise. On peut distinguer trois voire quatre phases distinctes en observant les allures des courbes :

- de 1970 à 1977 : une période pendant laquelle le taux de change réel observé et le Natrex seraient relativement proche, alternant entre une légère surévaluation puis sous évaluation du Yuan. Suite à la fin du système de Bretton Wood et du flottement général des principales monnaies, la Chine a décidé de passer à un ancrage composite (suite à un régime fixe qui s'est étendu sur 17 ans), dans lequel le Renminbi est ancré sur 13 monnaies occidentales. Néanmoins, en 1975, ce panier de devises est composé à 50% de dollars et 50% de Deutsch Marks.

- De 1978 à 1984, les résultats de l'estimation du Natrex permettent de conclure à une surévaluation du Yuan durant toute la période sans interruption. A cette même période correspond une nouvelle phase historique du régime de change chinois. En effet, en 1979, suite à des réformes économiques, la Chine introduit l'IRTS (taux interne des règlements commerciaux), qui est un autre taux de la monnaie, existant en parallèle au taux de change officiel. Ce taux (coté au certain) inférieur au taux officiel jouait comme une dévaluation, et par la même a entrainé mécaniquement une surévaluation du taux de change officiel. Les résultats que nous avons obtenus semblent correspondre à l'histoire du Régime de change. En effet, en 1981, de nombreuses dévaluations du taux de change officiel ont lieu afin d'éliminer la surévaluation héritée de ce système. Le taux officiel rejoint la valeur de l'IRTS, qui devient inutile en 1984.

- De 1984 à 2003 : on constate un renversement de la tendance avec une sous évaluation du Yuan. Cette période correspond d'une part à une période d'ancrage du Renminbi sur différentes monnaies (les autorités créent des droits de rétention de devises), le contrôle est important. Néanmoins, en 1994, une grande réforme est élaborée, le régime de change devient un régime de flottement géré. Le système de droit de rétention de devises est aboli, mais dans les faits, les bandes de fluctuation par rapport au dollar sont tellement étroites, que le taux de change du yuan demeure sous évalué.

- De 2004 à 2006, les résultats du modèle permettent d'avancer le constat suivant : la valeur du Yuan semblerait sur évaluée vis-à-vis de sa valeur d'équilibre, sur évaluation de l'ordre de 3 à 10% environ. Ce résultat parait surprenant car il est en contradiction avec les accusations encore très actuelles portées sur la politique de change chinoise, dans le sens où le gouvernement maintient la monnaie sous évaluée. Néanmoins, ce constat correspond à la période des réformes du régime chinois, qui tentent de répondre aux exigences des institutions internationales telles que l'OMC, qui exercent une pression forte en vue d'une réévaluation de la monnaie chinoise. Ainsi, le gouvernement chinois a élargi les bandes de fluctuation de sa monnaie, ce qui a mené le Renminbi à être réévalué de 2,5%.

De fait, les mésalignements de la monnaie chinoise sur les trente dernières années correspondent dans les grandes lignes aux ruptures historiques du régime monétaire chinois. Mais plus que tout ce qui suscite le plus la controverse politique et médiatique est l'ampleur de la sous évaluation de la monnaie ces dernières années. Certains économistes et politologues avaient estimé que la sous évaluation du Yuan atteignait 15-30%.

Or, depuis l'entrée de la Chine dans l'OMC soit en décembre 2001, et d'après les estimations de la valeur d'équilibre à cette même période par le modèle Natrex, il semble que la monnaie soit sous évaluée tout au plus de 4,3% par rapport à sa valeur d'équilibre.

Conclusion

Ces résultats montrent avant tout l'intérêt d'une analyse plus approfondie des modèles de taux de change d'équilibre, qui parce qu'ils sont loin de refléter parfaitement la réalité, ont des spécifications qui dans le cadre théorique de Stein permettent des adaptations plus rigoureuses à des formations du taux de change qui diffèrent fondamentalement les unes des autres , selon les caractéristiques économiques des pays étudiés. Ainsi, en tenant compte des besoins en croissance économique de la Chine, la sous évaluation de sa monnaie est rapportée à 5% au maximum. Les estimations très élevées qui sont souvent mises en évidence reflète l'application d'un modèle général ne tenant pas compte du fait que la Chine est un pays qui a besoin de se développer pour employer sa population et réduire à terme les inégalités, à travers une politique d'ouverture indispensable.

Références bibliographiques



-BOUVERET, A. et H. STERDYNIAK (2005), «Les modèles de taux de change: Equilibre de long terme, dynamique et hystérèse », Revue de l’OFCE, avril.

-CLARK, P. and R. MACDONALD, (1999), “Exchange Rates and Economic Fundamentals: A Methodological Comparison of BEERs and FEERs”, in R. Mac Donald and J. L. Stein (ed. (1999), Equilibrium Exchange Rates, Kluwer Academic.

-HINKLE L. E. and P. J. MONTIEL ed. (1999), Exchange rate misalignment, Concepts and measurement for developing countries, A World Bank Research Publication, Oxford University Press.

-MACDONALD R. (1997), “What Determines Real Exchange Rates? The Long and Short of It”, Journal of International Financial Markets, 8, pp. 117-153.

-MACDONALD, R. (2000), Concepts to Calculate Equilibrium Exchange Rates: An Overview, Discussion paper 3/00, Economic Research Group of the Deutsche Bundesbank.

-STEIN, J.L. (1990), “The Real Exchange Rate”, Journal of Banking and Finance, 14, Special issue, pp. 1045-1078.

-STEIN, J.L. (1994), “The Natural Real Exchange Rate of the United States Dollar and Determinants of Capital Flows”, in J. Williamson (ed.), Equilibrium Exchanges Rates, Institute for International Economics, Washington, DC.

-STEIN, J.L and P. R. ALLEN eds. (1995), Fundamental Determinants of Exchange Rates, Clarendon Press, Oxford.

-STEIN, J.L and G.C. LIM (1995), “The Dynamics of the Real Exchange Rate and Current Account in a Small Open Economy: Australia”, in Fundamental Determination of Exchange Rates, J.L. Stein and P.R. Allen (eds.), Clarendon press, Oxford

-WILLIAMSON, J. (1994), “Estimates of FEERs”, in Estimating Equilibrium Exchanges Rates ed. Institute for International Economics, Washington.

6 commentaires:

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  4. MacroPED3/12/2010

    Débat très intéressant entre vous. Félicitations, en tout cas!

    Mais, je me dis qu'il ne faille pas se focaliser sur un seul modèle pour se prononcer sur la valeur du yuan. Ce modèle est "une valeur abérante" comme les valeurs extrêmes dans une moyenne arithmétique.

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  5. MacroPED3/12/2010

    Pourquoi ne pas avoir envisagé un papier dans ce sens là???

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  6. Je me permets d'ajouter qu'il ne s'agit pas de se focaliser sur un modèle pour évaluer la monnaie, mais d'ajuster l'analyse du taux de change réel de la Chine, en tenant compte du fait que l'économie chinoise est une économie émergente qui a besoin de stimuler sa croissance pour que la population puisse un jour atteindre un niveau de plein emploi.

    Les modèles précédents (BEER, FEER...) utilisés jusqu'à présent ont tendance à "surévaluer" la sous-évaluation de la monnaie, en oubliant le fait que la Chine n'a pas les mêmes conditions initiales que les pays développés.

    Il n'y a pas d'estimation aberrante de la monnaie chinoise, si l'on admet, un tant soit peu, qu'une part de la "sous-évaluation" du Yuan trouve sa justification dans les besoins d'une économie émergente.

    Appliquer un même modèle utilisant des critères d'analyse du taux de change réel identiques, qu'il s'agisse du Canada, de l'UE, de la Chine ou du Rwanda, ne tient, à mon avis, pas la route et peut mener à des erreurs d'interprétation.

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