10 juillet 2015

Fuite carbone et commerce


Le brouillard ?
Nous venons enfin de terminer la révision de notre article sur les havres de pollution et la corruption! Le message de notre article est simple, les normes environnementales en Europe ont entraîné des délocalisations de firmes polluantes vers des pays ou elles peuvent polluer plus librement (les havres de pollution). Prosaïquement, c'est l'observation des fuites de carbone de l'Europe. Ces délocalisations se sont de plus dirigées vers les pays où la corruption permettait d'influencer les normes environnementales (c'est ce qu'on appelle les paradis de la corruption).
Pour un économiste lambda, il n'y a là rien de révolutionnaire, les firmes maximisent leurs profits en se délocalisant, point barre. Pour un économiste en économie internationale, il y a cependant un résultat contrariant: nous montrons que les délocalisations sont d'autant plus fortes que les pays sont fortement intégrés commercialement. De là à supposer que l'intégration en favorisant les délocalisations des firmes polluantes, augmente les pollutions il n'y a qu'un pas. Or, cela ne cadre pas avec les théories d'économie internationale qui rejettent cet argument et affirment que l'ouverture est bénéfique pour l'environnement (nous en avions fait un post détaillé ici il y a déjà 2 ans qui est toujours d'actualité). La remarquable étude de  De Sousa, Hering et Poncet qui est sortie hier confirme ce résultat pour les émissions de SO2 en Chine.
Ce résultat est-il en opposition avec le notre? Pas vraiment, les auteurs montrent même que ce sont justement les IDE qui ont permis de diminuer les émissions de SO2 en Chine. Le fait que ces firmes aient des technologies plus avancées, expliquent en partie ces progrès. En caricaturant un peu on pourrait dire que nous présentons deux facettes d'un même phénomène, nous montrons que les firmes polluantes quittent l'Europe pour des pays où elles peuvent polluer plus ou moins librement (dont la Chine) et De Sousa et al. montrent que ces firmes multinationales polluantes sont moins polluantes que les locales, ce qui est loin d'être un exploit compte tenu des techniques de production dans ces pays...
La question qui reste ouverte est contre-factuelle, si ces firmes étaient restées en Europe où elles auraient encore moins polluées du fait des normes plus restrictives, comment aurait évolué les pollutions? Les échanges (polluants) Chine-Europe auraient-ils été aussi importants? On peut penser que les choses auraient-été bien pires... ou pas... faîtes tourner les modèles, tout dépendra de vos hypothèses et en particulier de la substituabilité entre capital et flux commerciaux. Anderson (2005) est limpide sur ce point lorsqu'il critique le modèle HOS utilisé par Copeland et Taylor:

"The Copeland and Taylor model is one in which capital fl ows and trade fl ows are substitutes, although there are respectable models in which the two are complements. In a world of complementarity, Green pessimism may well be more warranted. If FDI fl ows to take advantage of lower abatement cost, and if FDI is stimulated by trade liberalization, the factor proportions model mechanism that locates polluting industries in the rich North is reversed "

Dans notre article nous utilisons justement ce type de modèle alternatif et respectable à bien des égards (basé sur Fujita et Thisse, 2006). A partir du moment où les agents ont une préférence pour la diversité, il y a tout lieu de penser que l'intégration commerciale entraînera un afflux toujours plus massif de cadeaux "Made in ..." sous le sapin de noël pour peu qu'ils soient produits sous rendements croissants dans des pays aux normes environnementales et sociales plus basses.

Mais il y a une raison encore plus fondamentale qui explique pourquoi le commerce international peut être néfaste en terme de pollution: les transports. Aucune, je dis bien AUCUNE des études qui affirment benoîtement que le commerce a un effet favorable sur l'environnement ne prennent en compte la pollution liée aux transports. Quel est l'impact de l'intensification des échanges en termes de pollution si on prend en compte les différents modes de transport? La question est ardue, elle nécessite un immense effort d'analyse de données et un bon paquet d'hypothèses. En économie internationale, depuis déjà pas mal d'années lorsqu'un tel défi se présente, il faut se tourner vers David Hummels. Voici donc une partie de l'abstract du seul papier qui prend en compte les transports:

"We collect extensive data on worldwide trade by transportation mode and use this to provide detailed comparisons of the greenhouse gas emissions associated with output versus international transportation of traded goods. International transport is responsible for 33 percent of world-wide trade-related emissions, and over 75 percent of emissions for major manufacturing categories."

Ooooh waiiit, 75%!!! et les transports sont omis de toutes les équations expliquant les émissions par les secteurs industriels, ça craint! Lisez l'article, vous verrez que les auteurs sont prudents, mais qu'ils sont tout de même inquiets sur les échanges longue distance (style USA-Chine).

Pour conclure, merci à tous ceux qui ont discuté (S Bertoli, A Bouët, P-Ph Combes, M Crozet, J de Sousa, C Gaigné, M Goujon, J Le Cacheux, S Rey, F Robert-Nicoud, F-C Wolff)
et téléchargé (notamment la trentaine d'anonymes d'hier) ou encore RT/FAV (adelaigue, annenat, martin_anota, remibaz, robertJRElliott, tradediversion, xmolenat) notre Pollution Haven and Corruption Paradise, cet article représente de longs mois d'effort à viser l'excellence, à lutter contre nous même pour en sortir le meilleur (thèse d'Elisa + mon HDR) donc plus il sera lu et moins nous aurons la sensation d'un effort vain. Les fuites carbone dans les havres de pollution aux institutions douteuses ne sont pas une curiosité théorique, elles sont bien réelles, nous les avons clairement identifiées sur notre échantillon.

Lisez aussi l'article de De Sousa, Hering et Poncet, le titre "Has trade openness reduced pollution in China?" est une poupée russe vous invitant à la lecture, leur propos ne concernent pas toutes les pollutions, mais uniquement le SO2, ce qui rend leur résultat beaucoup moins discutable que pour les autres pollutions et au vue de leur rigueur sans aucun doute vérifié.

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