la nécessité d'instaurer une démocratie pour amorcer le développement des états, mais que sans les bonnes institutions et incitations, aucune amélioration de long terme n'est envisageable, pas plus en tout cas que dans un régime autocratique. En outre, en choisissant, l'étude de Persson et Tabellini comme chapitre de clôture, Helpman met l'accent sur l'importance des hypothèses des modèles théoriques et les méthodes d'estimations choisies qui conditionnent largement les conclusions de chaque étude.
Pour mieux comprendre, penchons-nous sur Besley et Kudamatsu (« Making autocracy works » 2008)
qui nous donnent une image plus contrastée des systèmes autocratiques qu’habituellement. En effet, en accentuant le fait que le fonctionnement systémique d’une autocratie a toujours été négligé dans la littérature, les auteurs partent du constat que la démocratie ne garantit pas toujours la croissance et qu’autocratie peut parfois s’associer à de meilleures performances. La Chine est souvent donnée comme exemple récent de réussite économique sans pré-requis démocratiques, et en remontant dans le temps on constate que la Révolution Industrielle Britannique s’est amorcée bien avant que soient mises en place des élections larges et démocratiques (il faut préciser ici que Besley et Kudamatsu évaluent la démocratie uniquement au travers la nature des élections). En observant les faits stylisés, il est rapidement mis en évidence que les régimes dictatoriaux ont pour particularité de passer d’un extrême à l’autre en termes de performances économiques, c'est-à-dire que les taux de croissance seront soient beaucoup plus forts que pour les démocraties (« outperforming »), soient bien inférieurs. Les auteurs présentent donc un intérêt majeur à comprendre les mécanismes de décision en régime autocratique. L’article est fondé sur l’idée que les performances économiques dépendent du degré de responsabilité du dirigeant qui, quelque soit le régime, a un rôle dominant dans la prise de décision.
En effet, si dans une démocratie, c’est le processus électoral qui rend le leader responsable de ses actes (en vue d’une réélection), les dictateurs fondent leur maintien sur un groupe de citoyens clef mis au pouvoir. Ce groupe qui tirera les bénéfices de la politique du leader en tant que citoyen, exercera une pression plus ou moins forte sur le leader, afin qu'il mette en place des politiques favorables à leur propre bien-être qui dépend de l'intéret général. On comprend ainsi pourquoi occasionnellement un régime autocratique peut porter ses fruits en termes d'intérêt général, si le groupe qui tient les clés du pouvoir en main cherche à profiter des politiques mises en œuvre, alors la croissance économique pourra s'amorcer.
Il est évident qu'une condition majeure est l'aptitude du groupe politique à menacer le leader autocratique, sans quoi, il aurait toutes les cartes en main pour diriger sans prise de responsabilité, entraînant le pays au plus bas.
Reprenons leur exemple: la Chine. Les 20 membres du Bureau du Parti Communiste Chinois font référence au groupe de pression autour du leader. Ainsi en 2002, Jiang Zemin est, malgré sa tentative de convaincre les membres du Parti, remplacé par Hu Jintao, parce que les membres du parti avaient jugé que le creusement des inégalités qui s'était produit sous Jiang allait, à terme, miner le succès économique global de la Chine. A raison, donc, le leader est remplacé, au profit d'une croissance économique inégalée pour le pays.
Jiang Zemin et son successeur |
Il est évident que le but de Besley et Kudamatsu n'est pas de faire des louanges aux régimes autocratiques, bien au contraire. Il s'agit de mettre en évidence certains mécanismes institutionnels incitant la tête du gouvernement à agir pour améliorer la situation économique du pays. La démocratie, selon les auteurs, n'est pas une condition suffisante au développement économique, sans un système d'incitations performant. Il est évident que les dictatures peuvent mener un pays aux pires situations et états de crise, à moins que les intérêts des décideurs politiques sont mêles à l'intérêt général.
Aghion, Alesina et Trebbi adoptent un argumentaire différent pour exprimer la fragile relation entre démocratie et croissance économique. En effet, partant des mêmes faits stylisés, les auteurs sont amenés à considérer que les institutions d'un régime démocratique vont différemment impacter les secteurs économiques. On se retrouve finalement dans cette vision dualiste où le processus démocratique est un jeu à somme positive où des secteurs sont gagnants et d'autres sont perdants, ce qui dépend, selon les auteurs, du contenu technologique de chaque secteur. En développant, un modèle théorique leur permettant d'évaluer l'impact des institutions démocratiques sur l'entrée de nouvelles firmes dans un secteur. Aghion, Alesina et Trebbi supposent que les firmes déjà présentes sur un marché vont devoir fournir d'autant plus d'efforts et de pots-de-vin pour empêcher l'entrée de nouvelles concurrentes, que le niveau de démocratie s'élève. Ainsi, des institutions plus démocratiques incitent l'innovation des nouvelles firmes et donc impactent plus les secteurs ayant un fort contenu technologique. Ainsi, les auteurs ont testé la relation démocratie-croissance, d'une part sans contrôler ces interactions entre institutions-secteurs-innovations, ne trouvant alors aucune relation significative. Dès que ces interactions entre démocratie et degré technologique sont intégrées, ils trouvent non seulement un effet positif des institutions sur les secteurs innovants, mais aussi un impact positif sur la croissance économique globale.
Le dernier chapitre de l'ouvrage d'Helpman est consacré aux travaux de Persson et Tabellini qui ont voulu ré-évaluer la relation entre démocratie et développement en adoptant une toute autre méthode d'estimation. En effet, en étudiant la relation à travers une estimation non-paramétrique, les auteurs concluent que l'impact de la démocratie sur la croissance a souvent été sous-estimé. En relâchant, cette hypothèse de linéarité imposée à la relation, Persson et Tabellini mettent en évidence que l'impact d'un changement de régime politique peut être considérable. Ainsi, si un pays perd ses institutions démocratiques après la mise en place d'une dictature, il peut connaitre une récession de près de 45%.
Cette dernière étude a le bénéfice de sensibiliser le lecteur sur l'importance des hypothèses sous-jacentes des modèles qui lui sont exposés au fil de la lecture. En effet, les travaux à la fois théoriques et empiriques sur le lien entre institutions et performances économiques sont toujours soumis à des hypothèses et des techniques d'estimations qui leur sont propres et qu'il est nécessaire de ne pas les oublier, car elles peuvent conditionner sérieusement les résultats.
"Helpman ne semble pas vouloir donner une réponse absolue quant à la relation entre démocratie et croissance économique". Je pense que vu sous l'angle de l'économie de la croissance, il ne pouvait ne faire que ça. Ca démontre justement qu'il connait la question.
RépondreSupprimerJ'ai pas lu Besley et Kudamatsu, mais c'est quoi cette définition de la démocratie? On ne peut pas avancer avec une telle définition... On a maintenant des indices beaucoup plus riches et intéressant que les "élections prétendues démocratiques"...Par ailleurs, je trouve le raisonnement très séduisant et pertinent. Si vous avez leur article, je suis preneur... C'est une idée qui hante mon esprit de puis des années. (Hélas! J'ai pas écrit un papier sur ça.Je veux pas me plaindre, car c'est juste une partie de mon raisonnement...) Moi, j'ai orienté mon problème vers la Lybie et la Chine vient en seconde position.
Ceci est intéressant : http://www.economist.com/economics/by-invitation/questions/are_authoritarian_governments_impediment_growth et il manquait Rodrik. Son avis est ici :http://www.project-syndicate.org/commentary/rodrik46/French
L'etude de Persson et Tabellini, que cite Helpman, m'a toujours plu beaucoup. Mais une récession de près de 45%? Waoh!!! On peut envisager un passage en douceur... Il faut une étude à la Carmen Reinhart-Kenneth Rogoff pour étayer cette "conclusion".
Merci pour vos commentaires et les liens complémentaires que vous apportez! Concernant les indices de démocratie, je pense simplement que le choix des auteurs leu permet de contrôler la qualité et la disponibilité des données. Il est parfois difficile d'utiliser des indices composites, dans le sens où toutes les données ne seront alors pas forcément dispo pour tous les pays et où les erreurs de mesure sont également plus probables. Mais vous avez raison, il faut évidemment garder à l'esprit la richesse des éléments qui caractérise une démocratie et en tenir compte dans les conclusions amenées à la fin d'un papier.
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