Le moyen le plus adéquat pour définir une organisation est d’analyser l’objectif poursuivi. En effet, un groupe naît pour servir une cause, un intérêt qui est commun à tous ses membres, il n’aurait pas de raison d’exister sans cette volonté collective de poursuivre un but précis. Cette vision du groupe n’est pas nouvelle, Aristote, le Professeur Festinger ou encore Arthur Bentley le fondateur de la théorie du groupe donnaient déjà cette définition aux associations d’individus.
Le point de départ de Olson est de considérer qu’un individu ayant une pensée rationnelle agira en premier lieu pour défendre ses intérêts individuels, puis au sein d’un groupe pour servir des intérêts communs que lui-même ne peut défendre seul, car ils nécessitent une action collective. Une fois cette dichotomie faite entre action individuelle et action collective, Olson va tenter de comprendre comment l’objectif d’un groupe peut être poursuivi, sans que la rationalité de chaque individu ne freine le bon fonctionnement de l’organisation. Son analyse prend en considération la taille du groupe, les différents procédés d’incitation, ainsi que la nature même de ces groupes (car si la formalisation théorique prend racine dans des organisations économiques, Olson ne néglige pas l’importance des groupes politiques ou idéologiques dans nos sociétés). Au fil des pages, le lecteur découvrira les théories telles que :
- La liberté économique à travers l’histoire des syndicats aux Etats-Unis.
- La théorie Marxienne de la lutte des classes.
- Les différentes théories orthodoxes du Groupe et des moyens de pression collective.
Olson rythme toutes ses analyses par la distinction systématique entre la taille des groupes, qui paraît alors être un facteur déterminant de l’efficacité de l’action collective.
A. Les difficultés sous-jacentes du groupe « latent » et la prédominance du groupe « privilégié » par son efficacité.
1. L’erreur de la théorie traditionnelle du groupe : la taille du groupe est un facteur déterminant de l’efficacité de l’action collective.
Pour les auteurs de la théorie traditionnelle, la formation d’associations au sein d’une société est instinctive, propre à l’homme comme répondant à un besoin de défendre des intérêts communs ; Les travaux de Talcott Parsons reprennent d’ailleurs cette idée de propension à former des groupes inhérente à l’humanité depuis l’époque primitive jusqu’aux temps modernes. Parsons expliquait l’évolution des relations au sein d’un groupe par la complexification de la société qui rend la sphère familiale et affective moins adaptée pour répondre aux besoins d’intérêt général. Des associations de type nouveau voient le jour : les églises, les syndicats, les professions sont mieux à même de répondre aux nouvelles aspirations sociétales. Cependant, tous ces auteurs considèrent que l’évolution de la taille des groupes n’a pas d’influence sur l’efficacité de l’action collective, mais au contraire que les larges groupes qui sont présents aujourd’hui ne seraient qu’une transposition des besoins primitifs de regroupement à une plus grande échelle.
Néanmoins, en étudiant formellement la relation entre taille et efficacité d’un groupe, on constate que les théoriciens traditionnels faisaient fausse route, en ce que l’envergure d’une association d’individus conditionne à la fois le degré de consensus au sein d’un groupe et l’intensité des incitations individuelles.
Olson adopte une typologie du groupe simple, qui est fonction de la taille (nombre de membres) et du degré de mobilisation dans l’action collective :
- on appelle groupe latent, un groupe de taille très importante, à l’échelle nationale, qui du fait de son envergure dispose d’un potentiel de mobilisation inexploité, « latent », qui a besoin des incitations sélectives pour amener chaque membre à s’impliquer dans le groupe. Le degré de consensus sera d’autant plus faible, que les intérêts individuels de chaque membre sont contradictoires, entre eux et avec l’objectif commun.
- Olson nomme ensuite les groupes « intermédiaires » et les groupes « privilégiés » les organisations qui par leur échelle humaine, suscitent une mobilisation volontaire des individus dans l’action collective.
2. Des incitations individuelles plus faibles dans les groupes latents :
Chaque individu aussi rationnel qu’il soit, adopte la même démarche de décision : un arbitrage coût bénéfice. Néanmoins la particularité de l’action collective est qu’elle est une combinaison des intérêts communs à tout le groupe et des intérêts individuels de chacun des membres. De fait cet arbitrage coût bénéfice complique le déroulement de l’action du groupe : en effet, à partir du moment où les membres d’un groupe s’unissent, l’individu n’aura pas conscience des effets induits de ces actes, en considérant que les efforts fournis ne seront pas perceptibles. Ainsi chaque participant tentera de faire supporter le coût de recherche du bien collectif aux autres membres, tout en sachant qu’il percevra tous les bénéfices amenés par le bien collectif, du fait de son caractère non exclusif . Plus un groupe suscitera des adhésions, plus le comportement de passager clandestin se ressentira, les contributions de chacun s’amenuiseront, il en résultera une inefficacité totale, puisque aucun bien collectif ne sera produit, alors que c’était la seule raison d’existence du groupe.
Au fil de son élargissement, un groupe ne peut pas survivre en se reposant sur des contributions volontaires qui sont minoritaires. L’Etat par exemple, malgré les valeurs patriotiques de certains citoyens, n’a jamais pu financer la sécurité, la Justice grâce à des contributions volontaires, mais par des taxes, des prélèvements obligatoires. Il s’agit là d’un point clé de la réflexion d’Olson : le caractère obligatoire des contributions au sein d’un groupe est –il une solution à l’inefficacité chronique de l’action collective sous l’effet de la confrontation des intérêts individuels ?
Le groupe latent souffre donc d’un manque d’incitations économiques au regard de l’arbitrage coût bénéfice que chaque être rationnel accomplit avant d’agir au sein d’une entité.
Néanmoins, Olson précise qu’il ne suffit pas de considérer uniquement des incitations économiques, car l’adhésion à un groupe suscite bien d’autres sentiments tel que le besoin de reconnaissance socio-économique. On pourrait donc supposer que l’absence d’incitations économiques et financières peut être compensée par une revalorisation sociale au sein d’un groupe d’individus qui tissent des liens resserrés. Le groupe de pairs, les amis peuvent ainsi exercer une pression sociale qui pousse chaque individu à agir dans le sens de l’objectif commun, l’intérêt collectif.
Olson explique au lecteur que ce type d’incitations sociales (sentiment d’appartenance à un groupe, statu social plus élevé…) peut être considéré comme des incitations individuelles, non collectives, en un mot sélectives ; l’auteur suppose donc que ce type d’incitations pourrait mobiliser un groupe latent et évincer le comportement clandestin. Néanmoins, la pression sociale exercée par le groupe de pairs s’opère beaucoup plus facilement lorsque l’échelle du groupe est réduite. En effet, plus le groupe prend de l’ampleur, plus l’anonymat entre les individus fait sa place et donc moins l’influence de la pression sociale est forte. Donc, après une observation plus précise des comportements individuels, Olson met en évidence une inefficacité des incitations sociales dans la mobilisation d’un groupe latent.
On peut ajouter que si seuls les petits groupes peuvent inciter ses membres à s’impliquer personnellement dans l’action collective, les groupes latents peuvent s’organiser auteur d’un système fédéral, dans lequel ce sont des sous groupes localisés qui agissent collectivement. C’est une des solutions possibles pour un groupe latent puisse exploiter son potentiel de mobilisation. Lorsque Olson aborde la problématique de l’action de l’Etat ou des institutions de l’Etat américain, il constate une efficacité révélée dans l’action lorsque les groupes parlementaires se divisent en groupes de travail réduits, car chacun fourni des efforts plus intenses.
B. Les solutions permettant à l’action collective de sortir de l’impasse.
1. la coercition et la problématique de la liberté économique.
Olson consacre tout un chapitre sur les syndicats américains, à travers lequel il tente d’expliquer comment fonctionne un syndicat, les évolutions du nombre d’adhérents au fil du temps et de la conjoncture économique. Il fait une analyse précise des moyens d’incitation employés pour conserver tous les membres d’un syndicat. Olson constate ainsi que pour préserver son efficacité dans la protection des emplois et des conditions de travail, un syndicat est amené à rendre l’adhésion obligatoire. En effet, sans cette obligation de devenir membre et de contribuer à l’activité du groupe, le manque d’incitations individuelles (commun à tout groupe d’individu de taille trop importante pour que chaque contribution soit perceptible) fait que l’action collective deviendrait rapidement inefficace du fait d’un comportement massif de passager clandestin.
Olson souligne l’idée que contrairement à tout ce qui a été dit plus haut, les syndicats ne peuvent pas demeurer des petits groupes de pression dans chaque atelier, et sont supposés grandir jusqu’à devenir des groupes latents à l‘échelle du marché. En effet, dans un environnement concurrentiel où chaque firme tente de réduire ses coûts, il est impossible d’obtenir des salaires plus élevés sans que cette hausse ne soit généralisée à toute l’industrie. C’est pour cela que les syndicats, depuis leur apparition aux Etats-Unis ont ce désir de susciter toujours plus d’adhésions et de les maintenir quelque soit la conjoncture. L’objectif d’un syndicat est de représenter la plus large majorité des travailleurs afin de pouvoir obtenir des réformes des conditions de travail généralisées à toute l’industrie. Olson nous explique donc qu’entre le XIX et le XX siècle, se sont multipliés les « closed shop » ou « union shop », un système dans lequel une entreprise embauchera uniquement des employés syndiqués. Se syndiquer devient alors une condition nécessaire au travail.
Des arguments contre les closed shop font irruption, on considère notamment cette pratique autoritaire comme une négation du droit au travail « right to work ». Les défenseurs du libéralisme économique, du « laissez faire » avancent continuellement cet argument contre les organisations : leurs méthodes enfreignent la liberté économique de chaque individu. Olson utilise la thèse de Wicksell pour illustrer ce courant de pensée contre les méthodes coercitives obligeant l’individu à participer à l’action collective. Knut Wicksell accuse donc l’Etat, les organisations syndicales d’enfreindre la liberté économique des citoyens, des travailleurs, en imposant des contributions financières sans leur consentement. Wicksell se prononce ainsi contre les prélèvements obligatoires qui financent les fonctions souveraines de l’Etat, et contre les closed shop qui privent un individu de pouvoir travailler en totale liberté, sans être sous la tutelle d’un syndicat qui l’oblige à agir collectivement. Un travailleur ne peut donc pas choisir de son propre gré s’il veut ou non joindre la lutte des syndicats. Wicksell propose une solution : la décision à l’unanimité. L’Etat pourra donc ponctionner une partie du budget des citoyens à condition que ces derniers aient voté à l’unanimité, du niveau de prélèvement.
Olson explique néanmoins que le développement des forces de défense nationale, du système juridique ou de tout autre bien collectif conditionne l’exercice des libertés individuelles. Un certain degré de renoncement est nécessaire au bien être général.
2. Les incitations sélectives et la théorie du « by product » : des avantages non collectifs, produits dérivés de l’action collective.
Pour renouer avec une action collective efficace, il est nécessaire de rendre les contributions des membres obligatoires afin d’endiguer le problème des comportements clandestins. Néanmoins, cette pression coercitive n’est pas suffisante. En effet, Olson souligne que les groupes de pression les plus efficaces sont organisés autour de plusieurs objectifs, autre que l’obtention d’un bien collectif, « the by-products of organisations » ie la production de produits privés et non collectifs servant d’incitations sélectives. En effet, la particularité de cette production sous jacente du groupe est que les bénéfices ne sont pas collectifs mais sélectifs, elle permet d’améliorer la capacité d’une organisation latente à mobiliser ses membres.
Ces incitations sélectives permettent avant tout de justifier le pouvoir coercitif qu’exerce un groupe sur ses membres, qui sans cela n’aurait aucune raison d’être.
Cette théorie du « by product » s’applique uniquement aux groupes latents car les petits groupes de pression « privileged and intermediate groups » suscitent assez d’implication pour que les membres dépensent volontairement leur temps et argent afin d’agir pour un intérêt commun.
Au vu des taux de syndicalisation relativement bas qui touchent certains pays aujourd’hui, les syndicats sont une illustration probante des difficultés de mobilisation des travailleurs. Pourtant, des périodes de l’histoire ont connu des syndicats forts et structurés. Olson juge donc intéressant d’appliquer la théorie des incitations sélectives pour expliquer la réussite de l’action syndicale malgré la menace des comportements clandestins. En effet, il constate qu’à partir du moment où les syndicats se sont concentrés sur la protection individuelle contre les abus des employeurs et sur l’obtention d’avantages en nature tels que les comités d’entreprise, la mobilisation syndicale s’est intensifiée. Le lecteur ne doit pas oublier que les syndicats à travers l’histoire ont aussi utilisé des méthodes cœrcitives et liberticides, qui accompagnent les mesures d’incitations individuelles et expliquent toutes deux les résultats positifs de la lutte d’un syndicat.
Olson cite plusieurs exemples concernant les lobbies professionnels défendant des intérêts propres à la profession, tels que les médecins qui forment des groupes pour défendre leurs conditions de travail. Il souligne dans ce cas que ce n’est pas tant la cœrcition qui est à l’origine du succès de l’association, mais plus l’apport de bénéfices non collectifs, comme par exemple la protection garantie de chaque praticien membre contre des poursuites judiciaires, ou une information individuelle transmise par le biais du journal de l’association.
Conclusion: Action Collective et Commerce International
En guise de conclusion et afin de se rapprocher de la théorie du Commerce International, le lecteur peut retenir les propos d’Olson concernant les groupes de pression du monde des affaires notamment commerciales. En effet, il constate que les lobbies des affaires, du commerce ou encore des agriculteurs sont forts et disposent de moyens de pression efficaces. Olson suppose que le haut degré d’organisation de ces groupes de pression est avant tout du au fait que chaque industrie représente un groupe oligopolistique de firmes puissantes mais peu nombreuses. On peut donc expliquer en partie leur influence sur le monde politique, en utilisant tout le développement théorique de Mancur Olson concernant leur domination dans l’action collective. L’auteur porte néanmoins un jugement sur cette domination des lobbies oligopolistiques : leurs intérêts particuliers « special interests » priment sur l’intérêt de tous les consommateurs. Leur pouvoir est donc disproportionné, mais ces lobbies profitent du potentiel inexploité des groupes latents (consommateurs), incapables d’agir pour contrer leur domination.
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